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     1 - La Bretagne au temps des "Carolingiens" et de Nominoë/Erispoë au IXème siècle, Alain Barbetorte au Xème siècle

     2 - Pierre Mauclerc au XIIIème siècle et les "Hermines bretonnes"et 1379 Jean IV "An Alarc'h"

     3 - François II, la Bataille de St Aubin du Cormier (1488) et le devenir d'Anne de Bretagne

   4- Acigné et la Duchesse Anne de Bretagne

     5 - La "Malédiction" du château d'Acigné, enquête avec des hypothèses

     6 - La légende du roi Arthur  et "Les légendes arthuriennes : une histoire politique du XIIè siècle" 

          Fabliaux,  Chrétien de Troyes, le Roman de Renart, la Chanson de Roland - Centre de l'Imaginaire Arthurien/Comper 56

          

                                                                                                     -=0&0=-

                                                            Périodes transitoires entre Romains et Royaume de Bretagne (383 à 690). L'ARMORIQUE après l'invasion des Romains 52 av JC (Jules César, ...) : version la plus "élargie" des hypothèses issues de 5 sources, Goeffroy de Monmouth, Pierre de Baud, Alain Bouchard, Bertrand d'Argentré et Dom Morice:     Conan Mériadec 383-421, Gradlon 392-405 ou 435-445, Salomon Ier 405-435, Aldrien 445-464, Erec ou Guérec 464-472, Eusébius 472-490, Budic 422-509, Hoël le Grand 448-545 (.../...), Hoël II 505-560, Alain Ier 547-560,    Hoël III 593-640, Judicaël ou Salomon II 612-660, Alain II Le Grand (ou Long) 638-690       

  Doutes sur la généalogie selon des écrits du XIè siècle, Dol de Bretagne, précisant seulement les noms de Riwal, Gradlon, Daniel Drem Rud, Judicaël et l'Abbaye de Landévennec : Riwall, Gradlon. Conan Mériadec n'y est pas cité mais il est attesté comme neveu d'Octavius dans Historia regum Britanniae. 

     septembre 851 : création du Royaume de Bretagne par Erispoë , fils de Nominoë, suite à la bataille de JENGLAND (Beslé, à l'est de Redon).

     863/867 : Nominoë s'étant déjà aventuré dans le Loir-et-Cher pour y mourir en 851, Salomon agrandira la Bretagne avec l'apport de l'Anjou, l'Avranchin, le Cotentin, le Maine et la Touraine (Traités d'Entrammes et Compiègne avec Charles le Chauve).

     952 : à la mort du dernier roi de Bretagne, Alain Barbe-Torte, on assiste à une anarchie durant deux siècles entre Nantes, Rennes et Cornouaille.

  1166 : les Anglo-Normands Plantagenets, dont Henri II époux d'Aliénor d'Aquitaine, Richard Coeur de Lion, ... seront les maîtres de la Bretagne jusqu'en 1213 (Mauclerc). Guerre de Succession, Traité de Guérande en 1365, Jean IV puis son fils Jean V le Sage en 1399 ". 

    1491 : Anne, fille du dernier duc de Bretagne, épouse Charles VIII, roi de France. Leurs quatre enfants ne survivent pas et le roi se tue accidentellement à 28 ans. 1499 : Anne épouse Louis XII, roi de France. Sur quatre enfants, seule leur fille Claude survit, laquelle épousera en 1514 François d'Angoulême, le futur François Ier.

     1532 : le 13 août, l'Edit d'Union au Royaume de France est ratifié par le Parlement de Vannes. 1536, mort du dauphin, fils de François Ier et de Claude de France, dernier duc couronné de Bretagne sous le nom de François III. On parle ensuite d'une longue période dite de l'"âge d'or" jusqu'en 1675. "Pendant cette période florissante la Bretagne était la seule province française où l'on pouvait changer n'importe quelle somme de numéraire, dans n'importe quel village. Plus de la moitié de la richesse mobilière française était aux mains des Bretons, marchands ou banquiers, Vitréens ou Léonards, opérant à l'étranger; notamment sur la péninsule ibérique gorgée de l'or des Amériques. Le Duc de Bretagne, François II, et la famille de Rohan, héritière du richissime Olivier de Clisson, étaient l'un comme l'autre plus riche que le roi de France." Claude Champaud "A jamais la Bretagne" 

Territoires et limites géographiques : selon Pierre de BAUD, aumônier de la Duchesse Anne de Bretagne au XVème siècle: "La Bretagne a ses limites immuables car enracinées dans l'immémorial, ses frontières naturelles déterminées par les fleuves du Couesnon, de Sélune (Nota : vers St Hilaire-du-Harcouêt Manche), de Mayenne et de Loire au-delà desquels le Breton est en exil."

     ERISPOE, fils de NOMINOE, se nommera en 851 "Prince de Bretagne et jusqu'au fleuve de Mayenne". Nos deux romanciers Balzac et Hugo désignent les départements de l'Ouest sous le nom de "Vendée". Dans les "Chouans", Balzac : "...Marche-à-Terre, du Pays des gars... en étendant sa rude et large main vers Ernée, là est le Maine, et là finit la Bretagne..."Victor Hugo : 1836 lettre : "il y a dix villes comme cela en Bretagne , Vitré, Sainte-Suzanne, Mayenne, Dinan, Lamballe, (Lassay) etc."Quatre-Vingt Treize" : "Passer la Loire était impossible à la Vendée. Elle pouvait tout, excepté cette enjambée... Passer la Loire tue La Rochejaquelein".  Il faut aussi noter avec Balzac "le secret de la guerre des chouans,les haies et les échaliers: construire ces clôtures formidables dont les permanents obstacles rendent le pays imprenable, et la guerre des masses impossible.  Alors se révèle l'insuccès nécessaire d'une lutte entre des troupes régulières et des partisans; car cinq cents hommes peuvent défier les troupes d'un royaume....c'était des Sauvages qui servaient Dieu et le roi, à la manière dont les Mohicans font la guerre."

     1 - La Bretagne au temps des "Carolingiens" et de NOMINOE/ERISPOE - Alain BARBETORTE au Xè siècle

     Au début du IXè siècle le Carolingien Louis Le Pieux, "lassé de ne pouvoir contenir les Bretons", "s'appuie" sur le comte de Vannes Nominoë, prince inconnu alors, en le nommant "missus" en 825. A la mort de l'Empereur en 840 le Royaume franc est partagé entre l'aîné Lothaire et Charles, né d'un second mariage.Les querelles des deux frères profitent à Nominoë qui se sent dégagé de son serment et décide de faire "cavalier seul" en Bretagne et au-delà. A compter de 843, Charles le Chauve, roi de Francie occidentale, monte trois vaines expéditions contre les Bretons.

 Nominoë et les Rois de Bretagne, une série  réalisée par Olivier Caillebot, conseiller scientifique Jean-Jacques Monnier

  • Episode 1Nominoé et les rois de Bretagne 
  • Episode 2. Cap sur Redon et son abbaye. Bains-sur-Oust : futur mémorial avec Georges Migaud Délégué de la fondation du Patrimoine pour le Pays de Redon, Louis Appéry Président de “Pouellgor gouel Ballon”, John Morzadec et Antoine Martel “Frériens”.
  • Episode 3. Dans ce troisième volet, l'Historien Frédéric Morvan et Georges Migaud délégué du patrimoine du pays de Redon, mettent en lumière la gouvernance de la Bretagne au 10 ème siècle.
  • Episode 4Ce quatrième épisode nous entraîne près d'Auxerre, à Fontenoy-en-Puisaye, lieu de la bataille qui déclencha la partition en trois entités de l'Empire de Charlemagne avec des répercussions sur l'équilibre des forces en Bretagne.

 Parmi celles-ci le 22 août 845 : la bataille de Ballon, lieu situé en Bains-sur-Oust (marais de Baen) au nord de Redon (Ros ou Roton); d'après la "Chronique de Réginon de Prüm. L'alliance de Charles Le Chauve et de son frère Louis Le Germanique explique la présence de mercenaires saxons sur la première ligne du front.

     "Les Bretons prennent les armes,violent les frontières du royaume des Francs et s'avancent jusqu'aux environs de Poitiers, semant partout le meurtre, le pillage, l'incendie, puis rentrent chez eux chargés d'un immense butin. Pour réprimer cette insolente audace, Charles à la tête d'une grande armée entre en Bretagne et livre bataille aux Bretons. Les troupes saxonnes, que le roi avait soudoyées pour soutenir les attaques rapides et les retours à l'improviste de la cavalerie bretonne, sont placées en première ligne. Mais dès la première charge des Bretons et dès leur première volée de javelots, les Saxons vont se cacher derrière les autres troupes.

     Les Bretons, selon leur coutume et montant des chevaux dressés à ce genre de combat, courent de côté et d'autre. Tantôt ils donnent impétueusement, avec toutes leurs forces, dans la masse serrée des bataillons francs et les criblent de leurs javelots; tantôt ils font mine de fuir, et les ennemis lancés à leur poursuite n'en reçoivent pas moins leurs traits en pleine poitrine. Accoutumés à combattre de près lance contre lance, les francs restent immobiles, frappés d'étonnement, effrayés de ce nouveau péril qui leur était inconnu; ils ne sont point équipés pour poursuivre ces troupes légères, et s'ils les attendent rangés en ligne serrée, ils n'ont contre leurs coups aucun abri.

     La nuit interrompit la bataille. Les Francs avaient beaucoup de morts, un plus grand nombre de blessés, une foule énorme de chevaux hors de combat. Le jour suivant, la lutte recommence et s'achève pour les Francs par un désastre encore pire. Ecrasé par une immense terreur, le roi s'enfuit au milieu de la nuit à l'insu de son armée, laissant là son pavillon, sa tente, tous ses ornements royaux.

     Le lendemain matin, en apprenant la fuite du roi, l'armée est prise de panique et ne songe qu'à l'imiter. Les Bretons se jettent sur les Francs avec de grands cris, envahissent le camp tout pleins de richesses et y font un grand butin. En même temps ils poursuivent les fuyards, tuent ou font prisonniers tous ceux qu'ils peuvent rejoindre; les autres se sauvent à toutes jambes. Ainsi enrichis des dépouilles des Francs et munis de leurs armes, les Bretons rentrent dans leurs foyers."

Nota : BALLON "Pays Gallo" : acte fondateur de la Bretagne indépendante... De nos jours l'association "Poellgor Gouel Ballon" souhaite ériger un mémorial sur le lieu de bataille. Les plans d'une oeuvre d'art, imaginée par Jean-Pierre BAUDU de l'agence Fouet Cocher, sont prêts. Des sponsors se sont engagés (dont les frères Guillemot de Carentoir, le Conseil régional, ...) 

    Après la mort soudaine de Nominoë à Vendôme  le 7 mars 851 son fils Erispöé inflige à Charles le Chauve (le 22 août) une nouvelle défaite à Jengland, sur la rive gauche de la "Vilaine" après trois jours de bataille acharnée. Erispoë se nommera "prince de la Bretagne et jusqu'au fleuve de Mayenne" avec cette phrase en breton : "Doué zo en nenv,ha tiern é breizh" (il y a Dieu au ciel, et un chef en Bretagne). En septembre 851 la rencontre d'Angers scelle la paix entre Erispoë et Charles le Chauve. "On peut considérer ce traité comme l'acte de naissance de la Bretagne", selon l'historien brestois Joël Cornette. Ancien territoire "Pictons",  le sud Loire "Pays de Retz" est rattaché à la Bretagne.

     "L'an 857, Erispoë fut tué par Salomon et Alcmar, Bretons comme lui, avec lesquels il était en désaccord. Ils l'attaquèrent lâchement et, usant de ruse, ils le tuèrent sur l'autel tandis qu'il invoquait la protection de Dieu. Salomon, saisissant la couronne, objet de son ambition criminelle, la plaça sur sa tête." Annales de Saint Bertin

     En 874, la conspiration de son gendre Pacweten et Gurvant ,gendre d'Erispoë, aboutira à la mort de Salomon. Période d'instabilité avec les raids des pirates Vikings, dits Normands/"Northmen".En cette fin de siècle Alain le Grand, dernier Roi de Bretagne, réunira la Bretagne "celtique" avec la "marche" d'Armorique de langue romane (888 - 908).

    Alain BARBETORTE ou Al Louarn (le renard) en breton. Ce Comte du Poher fut le premier Duc de Bretagne en 936 et jusqu'à sa mort en 952. Il était aussi le petit-fils d'Alain Le Grand.

     Au début du Xème siècle les VIKINGS (ou pirates normands) changent de stratégie : les raids avec pillages sont remplacés par des "principautés" en Angleterre, en Irlande . En Normandie, le Traité de St-Clair-sur-Epte de 911 avec le roi de France Charles le Simple donnera la ville de Rouen au chef viking Rollon qui deviendra le premier Duc de Normandie. Le fait le plus marquant est la destruction de l'abbaye bretonne de Landévennec en 913. S'en suivra l'exil de l'aristocratie bretonne jusqu'en 935, date à laquelle Alain Barbetorte débarquera près de Dol-de-Bretagne avec une troupe d'exilés bretons (ainsi que des anglais), et chassera les Vikings jusqu'à Nantes dont il fera sa capitale de Bretagne.

     La grande victoire majeure sur les Vikings n'interviendra cependant que le 1er août 939 à Trans, sur les bords du Couesnon, avec l'appui des comtes de Rennes et du Mans. Cette date du 1er août deviendra la "Fête nationale des Bretons". La Bretagne ducale indépendante : 1er août 939 - 1532 rattachement à la France.

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     Les Rois Mérovingiens et Carolingiens considéraient le royaume non comme un Etat, mais comme un "domaine" dont ils étaient les propriétaires. D'où partage à peu près équitable entre les fils à la mort du père, sans souci géographique. Jusqu'au Xè siècle, chaque fois que la France est entre les mains d'un seul Roi, c'est que celui-ci est fils unique ou que la mort, naturelle ou provoquée, de ses frères, lui a permis de reconstituer l'unité du "domaine". Les premiers Capétiens, très modestes propriétaires, sentirent la nécessité de léguer le "domaine" à leur seul aîné. D'où des conflits et la coutume des "apanages" pour dédommager les cadets.Ainsi, au VIè siècle, Paris était une parcelle de l'héritage de Caribert.A sa mort, la ville avait été partagée en trois parts, mais aucun des frères ne devaient y entrer sans le consentement des deux autres.On peut signaler le Roi mérovingien CHILPéRIC Ier, petit-fils de Clovis qui, au VIè siècle, avait une personnalité curieuse avec des goûts artistiques, composant des vers latins, des hymnes, féministe pour que la femme ait droit à la succession du mari défunt, contraire à la loi salique, linguiste par de nouveaux caractères des sons germaniques que n'exprime pas l'alphabet latin, théologien...Il sera assassiné vers 584.

          Généalogie de Clovis (481 - 511) ; 4 fils reconnus : Thierry, Clodomir, Childebert I et le sucesseur Clotaire I (511 - 561). Le partage entre fils donnera Caribert roi de Paris et la Gaule Ouest et Gontran roi d'Orléans et un morceau de Provence. Intéressons nous aux deux autres fils Sigebert roi d'Austrasie (Est de la Francie, Auvergne et autre morceau de Provence) (561 - 575) avec son sucesseur Childebert II (575 - 597) puis partage Théodebert et Thierry; puis allons en Neustrie (Nord Ouest de la Francie, de la Somme à la Basse-Loire) avec le roi CHILPéRIC I  (561 , assassiné en 584) , son sucesseur sera  le jeune CLOTAIRE II qui n'a que 4 mois! Enfin nous aurons le très célèbre DAGOBERT I qui régnera de 629 à 639.

 

     Le "DUC" ou la "DUCHESSE" : à l'origine, sens latin de "chef militaire", équivalent au mot d'origine germanique "marquis" ou "margrave", qui commande plusieurs "Comtés". C'est un emploi et non un titre de noblesse.Peu à peu l'usage s'établit de confier au "Duc" les régions frontières.

 

            1066 Les "NORMANDS" (ou Franci/Galli) envahissent l'ANGLETERRE avec la fameuse bataille d' HASTINGS remportée contre le roi saxon Harold par le normand Guillaume le Conquérant , descendant du viking Rollon. Grâce à la fortune de son épouse Mathilde de Flandre, Guillaume Le Conquérant dispose de 1 000 navires et 8 OOO hommes qui débarquent dans le Sussex fin septembre 1066. Le tiers de l'effectif était originaire de Bretagne et occupèrent l'aile gauche à la bataille. Sur ces 2 à 3.000 combattants Bretons la provenance était située entre Lamballe, Loudéac, Gaël en remontant vers Châteaugiron, Vitré et Fougères ...Sur la Tapisserie de Bayeux, tous les combattants sont appelés "Franci (Français) car les Normands étaient épaulés de Bretons, Français d'Ile-de-France, Angevins, Flamands, Bourguignons, Aquitains et même Lombards ou Grecs...Les chroniques latines parlent de "Galli (Gaulois).  Après la victoire d'Hastings le 14 octobre, Guillaume distribue les terres. Ainsi les fils du comte de Penthiève recevront le comté de Richmond. Plus de soixante-cinq mille normands, bretons, angevins, picards, ... franchissent la Manche pour s'installer dans l'Angleterre peuplée alors d'un million deux cent mille habitants. L'Ecosse aura pour Grand Intendant un Fitzalan (Fils d'Alain) ou une reine Stuart, deux familles originaires de Dol-de-Bretagne. Guillaume Le Conquérant décède en 1087 à Rouen.

     Son troisième fils, Henry, âgé de 19 ans se fait alors proclamer roi d'Angleterre, avec le nom de "Beauclerc"; c'était un prince fort instruit. Il récuperera la Normandie à son frère Robert, revenu des Croisades. Sous son règne naîtra l'anglo-normand puis le "roman" appelé à devenir le "françoys" et prononcé le "franswé".

     Après sa mort en Normandie en 1135, notons l'important règne de Henry II  Plantagenêt né dans le Maine-Anjou, parti étudier à 9 ans en Angleterre le latin et les armes. En 1153, à 20 ans, il devient roi d'Angleterre et seigneur d'Irlande, duc de Normandie, comte d'Anjou, du Maine et de Touraine. Le mariage avec Aliénor d'Aquitaine lui apportera le titre de duc d'Aquitaine et dix ans de régence de Bretagne (1166, fiançailles entre son fils Geoffroy,âgé de huit ans, et Constance, âgée de quatre ans,princesse héritière) ; ainsi que huit enfants dont Richard (surnommé Coeur de lion) et Jean (Sans Terre). Sur 35 ans de règne, Henri II en passera seulement quatorze en Angleterre. Il sera enterré à l'Abbaye de Fontevraud en 1189. Bien que né en Angleterre, son fils Richard (surnommé Coeur de lion) n'y vivra que six mois sur dix ans de règne. Il sera élevé en Aquitaine et Poitou par sa mère Aliénor. Lettré et polyglotte il compose des chansons en langue d'oc (doc) et encourage les troubadours occitans.

     Si les ducs résidaient à Nantes, c'est à Rennes qu'ils recevaient leur investiture : le futur duc s'arrêtait hors des murs, puis prêtait serment en jurant de défendre les droits et privilèges de la Bretagne. Il franchissait alors les "PORTES MORDELAISES" PortesMordelaises et, le lendemain, était couronné dans la cathédrale Saint-Pierre. Situées aux bas de la place des Lices, ces portes comportaient deux pont-levis précédés d'un boulevard et présentaient une double porte piétonne et charretière. Elles étaient encadrées par deux tours symétriques, rehaussées de mâchicoulis. Les Lices, extérieurs à la ville fortifiée, servaient aux manifestations médiévales. A l'est, on y avait dressé le pilori qui ne disparut qu'au XIXème siècle. Suite à l'épidémie de peste de 1622, on y plaça le marché le samedi matin. Les enchères de 1658 permirent d'y construire d'immenses maisons de bois et des hôtels de pierre pour y loger les parlementaires rennais. Le 23 décembre 1720, le centre de la ville est en feu : "à un quart de lieue les charbons allumés tombaient gros comme le poing". 845 maisons à pans de bois sont ravagées.  Mais dès 1752 un observateur note que la ville se pare d'arcades en granite aux rez-de-chaussée, d'étages en tuffeau et de toits d'ardoises, pour devenir "l'une des plus jolies capitales que nous ayons dans nos provinces".

     Au XII ème siècle l'aristocratie bretonne s'exprime en français ou en latin, excepté en Basse-Bretagne. Alain IV Fergant (1084 - 1112) fut le dernier duc bretonnant.

    Langues française, anglo-roman, franco-normand : la langue française est en train de perdre de son influence au profit de l'anglo-américain. Pourtant, notre langue aurait pu devenir mondiale au fil des conquêtes et des mariages royaux entre la France et l'Angleterre. Depuis le milieu du XVè siècle l'hégémonie de l'anglais est incontestable dans le monde. Elle est devenue la langue véhiculaire à travers l'économie, l'informatique, la science, l'audiovisuel et le sport. Toutefois, il s'en est fallu de peu pour que la langue anglaise ne soit jamais parlée à la cour d'Angleterre. En effet, à la bataille d'Hastings en 1066, qui voit la victoire de Guillaume sur son rival Harold le saxon dont il s'empare du trône, la langue française - qu'on appelle alors le franco-normand - devient la langue du royaume d'Angleterre et de la noblesse anglo-normande. Une suprématie qui durera pratiquement jusqu'à la victoire de Jeanne d'Arc en 1429 sur les troupes anglaises. Pendant près de trois siècles de conquête française, lois et édits sont publiés en saxon pour le peuple et en français pour l'aristocratie. Mais, après la guerre de Cent Ans, un terme sera mis à l'usage du français à la cour d'Angleterre : il ne sera plus utilisé de façon officielle vers 1450.

                     

2 - Pierre MAUCLERC au XIIIème siècle et Jean IV 1379 "An Alarc'h"

     L'arrière-petit-fils du roi de France capétien Louis Le Gros - Pierre de Dreux - s'installa en Bretagne suite à son mariage avec la duchesse Alix, et sur ordre de Philippe Auguste qui "pensait" s'approprier le duché.Il entreprit de combattre tout d'abord les seigneurs du Finistère Nord et s'opposa au clergé breton, lui qui avait renoncé à la prêtrise, ce qui lui valut le surnom de MAUCLERC (clerc qui a mal tourné). Il fut excommunié quelques temps.Sous la régence de Blanche de Castille il complota contre le jeune Louis XI et s'allia avec le roi d'Angleterre Henri III.

     "Politique habile dans le détail des affaires et le maniement des hommes, chevalier vaillant, beau donneur de coups d'épée, capable d'inspirations très généreuses, très lettré, poète à ses heures, Pierre de Dreux avait de grandes qualités, mais il était entièrement dépourvu de modération et d'esprit de suite, et avec cela très entêté. Comme tous les Capétiens, il avait la passion de l'accroissement indéfini de son pouvoir" 

     La bataille de Châteaubriant (1222) : "Philippe Auguste avait donné la châtellenie de Ploërmel à un seigneur français Maurice de Craon. A la mort de celui-ci, Pierre de Dreux la revendiqua, à juste titre, comme partie inaliénable du domaine ducal. Amaury de Craon, héritier de Maurice, leva une forte armée composée de Manceaux, de Normands et d'Angevins, et pénétra en Bretagne. Pierre de Dreux menait une campagne contre les princes du Léon. Amaury, après avoir pris La Guerche et Châteaubriant, se retrancha derrière ces deux forteresses, faisant incendier et piller le pays environnant par ses troupes, attendant la diversion favorable que les princes du Léon lui avaient promise.

     A la suite des ravages exercés par les envahisseurs, la querelle personnelle de Mauclerc avec Amaury fit place à une lutte de caractère national pour sauvegarder le pays contre les étrangers. Les Bretons, oubliant les griefs qu'ils avaient contre Mauclerc, vinrent se ranger autour de lui. Pierre de Dreux s'avança vers Châteaubriant. Une bataille se livra dans les environs, à Béré, sur un terrain couvert de vignobles. L'armée d'Amaury, avec sa forte cavalerie, ne put manoeuvrer facilement dans les vignes. Les Bretons avaient au contraire, une quantité de gens combattant à pied dont l'arme favorite était l'arc et qui savaient s'en servir. Voyant cette grosse cavalerie empêtrée dans les vignes, ils lancèrent des flèches à plaisir, s'attaquant surtout aux chevaux. Avec les lourdes armures de l'époque, un chevalier jeté à terre ne pouvait se remettre seul sur pied. Les Normands, les premiers, se lassèrent de servir de cible aux Bretons et s'enfuirent. Les archers bretons profitèrent de cette défection pour pénétrer dans la ligne de bataille et prendre de flanc les autres escadrons. Bientôt, ce fut une déroute générale." LA BORDERIE.

     A la fin de sa vie Mauclerc partit pour la croisade en Egypte  - sous le nom de Pierre de Braine - où il combattit vaillamment. Il mourut au retour en 1250. Il laissa une Bretagne pacifiée à son fils marié avec l'héritière de Navarre.Les "hermines bretonnes" sur les armoiries de Bretagne furent introduites sous son ministère, car il portait un quartier d'hermine dans les siennes.BannirePierreDreux

     

 Pierre MAUCLERC et les seigneurs d'Acigné : Le baron de Vitré avait cédé le territoire d'Acigné à son fils Renaud en 1010. Le premier château d'Acigné - route de Servon en sortant du bourg - date de cette époque. On l'appelait en 1240 "La Motte d'Acigné". En 1234, ce château a été détruit par Pierre Mauclerc (Comte de Rennes), afin de punir Alain d'Acigné d'avoir pris parti pour Saint-Louis, qui était contre lui. Il a alors brûlé le château. De nos jours on a une rue Saint-Louis et sa statue y trône à l'extérieur de l'église. Depuis des temps lointains on y fêtait la "Saint-Louis" à la fin des battages troisième semaine d'août. Cette grande fête populaire, célébrée trois jours de rang, fut arrêtée en 1990.  

Initiateur des "Hermines bretonnes", Pierre Mauclerc aura laissé pour trace celles-ci sur le  blason des "d'Acigné"   avec, quand même, un rang de trois fleurs de lis (ou lys) du Roi de France..Mouchetures dhermines

        Jean IV 1379 : le célèbre chant "An Alarc'h" (le cygne), popularisé par Alan Stivell, Gilles Servat ou Tri Yann, raconte le retour du duc Jean IV d'Angleterre pour chasser les troupes du roi de France qui avaient envahi le duché. Ce chant du "Barzhaz Breizh" était considéré comme une pure invention par certains, jusqu'à la publication des cahiers de collectes d'Hersart de la Villemarqué sur le site du CRBC (Centre de recherche bretonne et celtique). Il a été collecté sous le titre "Gwai gwenn alar" (oie blanche cygne). An Alarc'h désigne l'espèce bien connue de l'oie cygnoïde, c'était un des emblêmes du roi d'Angleterre Edouard III, protecteur du duc de Bretagne en exil, d'où le surnom donné à Jean IV. Le mot alarc'h, identique en gallois, était donc encore connu au XIXè siècle. Jean IV est magnifié par ce chant :"Le seigneur Jean est un solide gaillard,  habile et léger sur ses deux pieds. Quand il joue de l'épée, il est si vif qu'il coupe en deux homme et cheval, son armure brille au combat et éblouit le regard de tous." Avec un tel chef, les troupes bretonnes sont galvanisées contre l'armée de mercenaires du roi de France. Les chercheurs Donatien Laurent et Christian Souchon attestent de l'authenticité de ce chant historique, très peu remanié par Hersart de la Villemarqué. O.F Bernez Rouz

3 - FRANCOIS II , LA BATAILLE de ST AUBIN DU CORMIER  (1488) et le devenir d'Anne de Bretagne

    1485 : fin de l'époque du trésorier général Pierre Landais, roturier vitréen. "Landais fut un grand ministre: c'est à lui que l'on doit rapporter toutes les mesures favorables au commerce, à la marine, à l'industrie, à l'agriculture, au développement des institutions municipales, et à lui, enfin, pour une grande part, la prospérité de la Bretagne pendant la seconde moitié du XVè siècle. Ardent et fidèle Breton, il combattit pendant vingt-cinq ans pour le salut de la patrie et mourut à la peine." La Borderie

     Anne de Beaujeu, fille de Louis XI,assurait la régence de Charles VIII et soudoyait nombre de seigneurs bretons avec force pensions pour affaiblir le duché de Bretagne de François II. Pour assurer sa succession celui-ci avait anticipé avec la réunion des Etats de Bretagne qui assurait les droits à ses filles Anne et Isabeau. Il conforta son duché par des alliances avec l'Angleterre et l'Autriche mais également avec le duc d'Orléans, ennemi de la régente Anne de Beaujeu qui s'appuyait sur la haute noblesse bretonne : Rieux, Rohan et Avaugour.

     Depuis le traité d'Arras de 1482, Charles VIII était fiancé avec Marguerite d'Autriche âgée de 5 ans, lui en avait 14.Le duché de Bretagne était très convoité : Anne aura connu sept prétendants...

     Louis d'Orléans entreprit de lever une armée avec le soutien des anglais et de Maximilien d'Autriche, père de Marguerite, ainsi que nombre de bretons mécontents. Anne de Beaujeu réagit vivement en 1487, une troupe française occupe Ancenis, Châteaubriant, Ploërmel puis Redon et Vannes et se porte alors sur Nantes.Mais le petit peuple se lève en masse pour défendre sa capitale : marins du Croisic, de Guérande, de Cornouaille, paysans, petite noblesse, bourgeoisie, .... reprend Vannes et tient bon face aux Rohan à Guingamp. En 1488, l'armée d'Anne de Beaujeu ne contrôlait que Clisson, La Guerche, Vitré et St Aubin du Cormier.

    Sous le commandement de La Trémoille, les français se rassemblent en une seule armée puissante et à partir d'avril 1488 les villes sont reprises: Ancenis, Châteaubriant, Dinan, St Malo,....Vint le tour de Rennes : après délibération dans la cathédrale il fut déclaré : "Ne pensez pas que vous soyez déjà seigneurs en Bretagne, le roy n'a aucun droit en cette duchée. Sachez qu'en cette bonne ville de Rennes il y a quarante mille hommes dont les vingt mille sont de telle résistance que moyennant la grâce de Dieu, si le seigneur de La Trémoille et son armée viennent l'assiéger autant y gagneront-ils que devant Nantes; nous ne craignons ni le roi, ni toute sa puissance. Partant retournez au seigneur de La Trémoille et lui faites part de la joyeuse réponse que nous avons faite car n'aurez d'autre chose." Les français se retirèrent des lieux, ne voulant répéter le siège de Nantes.

     La bataille déterminante de Saint-Aubin-du-Cormier : 28 juillet 1488 : le rôle majeur de l'artillerie française.

    Ignorant que Fougères avait capitulé le 19 juillet , une armée bretonne quitta Rennes avec les princes d'Orange et d'Orléans pour la secourir. La rencontre avec l'armée française eut lieu à mi-chemin à Saint-Aubin-du-Cormier. Le Maréchal de Rieux, reconverti à la cause bretonne, en était avec 12.000 hommes, dont seulement 300 archers anglais. Rieux fit revêtir à 2.000 des 6.400 bretons un hoqueton orné d'une croix rouge des archers anglais. En face, l'armée de La Trémoille disposait de 15.000 hommes avec de l'artillerie. La cavalerie était aux ordres du napolitain GALIOTA. Les ROHAN étaient présents sauf le sire de Léon, fils aîné,qui était avec l'armée bretonne.

     A deux heures de l'après-midi l'artillerie fit des ravages dans l'infanterie bretonne. Les lansquenets (fantassins mercenaires) allemands se replièrent derrière une colline ce qui donna le signal d'attaque de la cavalerie française et permit de percer l'armée bretonne qui tint quatre bonnes heures pour protéger une retraite ducale. Il y eut cinq à six mille morts dans le camp breton et mille quatre cents tués chez les français. 

      François II se sentit seul, abandonné de ses alliés, avec nombre de villes tombées. Il demanda la paix qui fut accordée avec promesse - par le traité du Verger (château en Anjou)- "de ne pas marier ses filles sans le consentement du roi".Une réplique fut célèbre : "Il plairait au duc que cette guerre se terminât..." - Soit... mais dites bien à votre maître qu'il m'a déplu, à moi, qu'elle commençât". François II mourut de chagrin le 9 septembre 1488.

François II était né au château de Clisson en 1435. Fils aîné de de Richard, Comte d'Estampes, lui-même fils du Duc de Bretagne, Jean IV, et frère de Jean V et d'Artur III. Sa mère est Marguerite, fille du duc d'Orléans. François II , élevé à la cour de France, succéda à son oncle, le célèbre Artur, Comte de Richemont, Connétable de France, qui ne régna qu'un an à l'âge de 64 ans, car empoisonné...  

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  NOTA : Saint-Aubin du Cormier , le site "Koad Sav Pell", à 300 mètres derrière le "Mémorial aux Bretons" (route menant à Sens de Bretagne). Jean-Louis Le Cuff, président du MAB (créé en 2003, 22 adhérents et une centaine de membres SCI), dispose d'un site de landes de 4,5 ha avec déjà 300 menhirs dressés, dont 17 forment un cercle avec, au centre, une table dolmen à la manière de Stonehenge (Angleterre). 50 fraîchement arrivés attendent d'être piqués debout. L'objectif de MAB est de faire connaître l'Histoire de la Bretagne et son identité. Il constate que les musées nationaux abordent très peu la période avant 1532, évoquant la bataille de Saint-Aubin (1488) et autres conflits. Marc SIMON, sculpteur local, grave le granit sur le terrain de "Koad Sav Pell". Après un dernier menhir, en 2018, en souvenir des morts bretons de 1914-18, c'est aux souverains bretons Nominoë et Alain Barbetorte qu'il s'attelle. Ainsi surgissent de terre une à deux sculptures par an. Jean-Louis Le Cuff rêve de voir les 56 ducs, princes et rois de Bretagne sculptés. Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. 

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     Anne - dont la mère est moitié espagnole, moitié béarnaise - n'a que 12 ans et reçoit sa couronne ducale dans la cathédrale de Rennes le 10 février 1489. Elle dispose d'un duché affaibli avec une large partie de sa grande noblesse assujettie au royaume de France. Non résignée et forte de caractère,et en déni du traité, Anne décide d'épouser Maximilien d'Autriche ,par procuration, à 14 ans.Le mariage fut "consommé" par l'entremise de l'ambassadeur d'Autriche qui dénuda sa jambe et la glissa sous les draps où reposait Anne...Vive réaction du roi Charles VIII qui occupe Nantes en mars 1491 et s'unit six mois plus tard par un mariage sans faste avec Anne - et la Bretagne - au château de Langeais. Après 7 années aux côtés d'un roi malade et fade, celui-ci décède.

NOTA : 1491 - 1911: on commémora à Rennes l'union de la Bretagne à la France royaliste avec une sculpture si offensante que les indépendantistes la firent exploser en 1932 (1532/1932). 1532 : François Ier prend une décision unilatérale avec un "édit" proclamant l'union de la Bretagne à la France. Il ne s'agissait pas d'un véritable "traité" signé par les deux parties.

     Le "CATHOLICON" de 1464 prouve le dynamisme culturel et technique de la Bretagne. On aura tout d'abord eu vers 1450 l'invention de notre "Gutenberg". Jean Brito de Pipriac, au nord de Redon, donne naissance à l'imprimerie et permet à un plus grand nombre de communiquer et obtenir des savoirs. Vint ensuite le "Catholicon": le chanoine de Tréguier aura demandé à Jehan Lagadeuc de rédiger le premier dictionnaire mondial trilingue  (breton, françois et latin) qui sortira de l'imprimerie Jehan Calvez en 1499.

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     Vint alors une période plus heureuse avec un nouveau mariage à 23 ans entre Anne et l'ancien duc d'Orléans qui règne sous le nom de Louis XII. Il lui laisse une relative liberté d'action dans son duché. Cela rejaillira dans de nombreux domaines intellectuels et artistiques et la notoriété de la Bretagne mais aussi près du peuple qui lui fera un triomphe en 1505 sur les routes menant de Nantes à Vannes, Quimper, Tréguier, Saint-Brieuc, Dinan et Vitré.

     Le 19 août elle est venue prier au pardon du Folgoët (Finistère), accueillie dans la basilique par un "Veni Creator" chanté en latin (créé au IXème s.) et également en breton, oeuvre de son confesseur né à Plouvorn, près du Folgoët, et futur évêque de Rennes en 1507. Il serait à l'origine du poème officiel écrit en lettres d'or sur la grande scène où trônait le portrait de Brutus, chef mythique troyen devenu premier roi des Bretons! On croyait à l'époque que les Bretons descendaient de ce peuple de la Grèce antique.... Brutus s'exprime en breton : "moi et ma femme, de partir en douce du pays grec, afin de conquérir sans coup férir cette ci-devant Bretagne. Mes descendants parlent la vraie langue de Troie, laquelle restera en usage jusqu'à la fin des temps." Bernez Roux

     Le "Tour de Bretagne" très populaire de juin à septembre 1505 va l'immortaliser. Cependant, il convient aussi de savoir qu'Anne aura quitté le duché à 14 ans et que pendant 23 ans de règne elle n'y aura résidé que 6 à 8 mois dont ce fameux "Tour"! Morte en 1514, à 36 ans, Anne de Bretagne restera jusqu'à nos jours la "bonne duchesse" intelligente et obstinée à défendre sa province. Elle fut aussi autoritaire, pieuse austère, et portée vers le faste avec 24 maîtres d'hôtel, 25 commis de cuisines et 48 valets.

     Adolphe ORAIN, de Bain-de-Bretagne, écrivait en 1899 : "il y a des noms tellement gravés dans la mémoire des paysans bretons que, ni la lecture des journaux qui pénètrent aujourd'hui dans les plus humbles chaumières, ni les soucis du présent, ni les préoccupations de l'avenir ne parviennent à les effacer. On ne parle qu'avec respect de la bonne duchesse, la brette (femme bretonne) de Louis XII, comme on l'appelle. toutes les voies romaines sont des chemins de la reine Anne...."

     Anne de Bretagne avait effectivement beaucoup d'atouts pour être la "coqueluche" des petites gens. Avec ses sabots, elle n'était pas fière! chanson :

" C'était Anne de Bretagne,

  Duchesse en sabots,

  revenant de son domaine,

  En sabots mirlitontaine,

  Ah!Ah!Ah!Ah!Ah!Ah!Ah!

  Vive les sabots de bois!

  Revenant de son domaine,

  Avec ses sabots,

  rencontre trois capitaines,

  En sabot mirlitontaine, etc...

Les trois capitaines saluèrent leur duchesse et lui offrirent un pied de verveine en lui prédisant que, s'il fleurissait, elle serait reine. La verveine fleurit et la duchesse devint Anne de France.

  

  4 - ACIGNE et la Duchesse Anne

En 1490 la Bretagne est un petit Pays convoité par les Grands d'Europe. A sa tête une gamine de 14 ans entourée de conseillers ambitieux, prétentieux et sans scrupules, soucieux de leurs intérêts.Tantôt Bretons,tantôt Français, tantôt Anglais, tantôt Espagnols. Treize prétendants essaient depuis quelques années de demander la main de la petite duchesse à son père - François II - dernier des ducs de Bretagne,mort en 1488 après la défaite de St Aubin du Cormier. Parmi eux, le roi de France Charles VIII, déjà fiancé à la fille de Maximillien d'Autriche, lequel vient d'épouser par procuration en décembre la petite Anne de Bretagne.

     Au printemps 1491 les troupes françaises occupent la Bretagne et nombreuses sont les villes défaites. Les troupes bretonnes chargées de protéger la duchesse qui réside à Rennes stationnent entre autres à Acigné, bourgade sise à trois lieues de la capitale.Les soldats se comportaient parfois en soudards désoeuvrés et la population vit dans la crainte d'exactions. Anne de Bretagne leur envoie ce message : "Ordre aux gens de guerre étant à la Motte d'Acigné et à Châteaugiron de ne pas contraindre à la bêche les paroissiens d'Acigné, Noyal sur Vilaine, Brécé, Servon et Broons, ni de les contraindre à leur porter ou bailler vivres ou ustensiles sans les payer raisonnablement..."

     Arrive l'été 1491. Nantes est livrée au roi de France par un conseiller de la jeune duchesse (Alain d'Albret) et l'armée française vient camper à Bain de Bretagne avant de s'établir en août entre Voeuvre (Chevré) et Vilaine, c'est à dire à Acigné! Trois autres corps d'armée prennent ensuite position à St Sulpice la Forêt, Vern et Liffré pour cerner Rennes qui "devient un îlot parmi les villes prises et parties ébranlées". Louis d'Orléans (futur Louis XII) qui avait pourtant combattu du côté des Bretons à St Aubin du Cormier en 1488, arrive à Rennes pour convaincre Anne de Bretagne d'épouser Charles VIII. 
     Devant la misère, la faim, les récoltes anéanties et les exactions des soldats, elle se bute puis se résigne à épouser le fils de Louis XI pour sauver son peuple. "Elle fut tant persuadée par remontrances et grandes raisons (de son entourage) qu'à la fin elle se laissa induire à prendre ce parti..."

     Charles VIII est à Rennes. Prétextant des dévotions à Notre Dame de Bonne Nouvelle (aujourd'hui place Ste Anne) il se présente au logis des ducs, rue des Dames. Il y trouve la duchesse "tant belle, gracieuse, bénigne et humble et bien servie de corps". Les fiançailles ont lieu à la chapelle des Jacobins de Rennes en novembre, puis le mariage est célébré le 6 décembre 1491 à 8H du matin au château de Langeais. Anne de Bretagne devient ainsi reine de France. Sept ans plus tard Charles VIII meurt en heurtant un linteau de porte basse au château d'Amboise. Anne de Bretagne épousera Louis d'Orléans à Nantes en janvier 1499. Elle sera reine une seconde fois.

     En 1513 le nouveau pape Léon X accorde des privilèges à Anne de Bretagne, à sa fille Claude et à cinquante dames et gentilshommes de son choix. Anne choisit pour cette liste Jean VI d'Acigné, Gilette de Coëtmen sa femme, et leurs trois enfants : Louis, Pierre et Marie d'Acigné...

     Nous commémorons en ce mois de janvier 2014 le 500 ème anniversaire de la mort d'Anne de Bretagne. Je ne sais si elle portait des sabots, si elle aimait les pieds de verveine ou autres légendes plus ou moins farfelues. Par contre le nom d'Acigné ne lui était pas indifférent!

Philippe MOUAZAN (Association "Acigné Autrefois")

5 - LA MALEDICTION DU CHATEAU D'ACIGNé :

     aux confins des forêts de Rennes et de Chevré, le bourg d'Acigné, situé à une dizaine de kilomètres à l'est de la capitale bretonne, s'est édifié sur les coteaux qui bordent un large méandre de la Vilaine. Bourgade paisible de quelques milliers d'âmes, on y coule des jours tranquilles, bercés au rythme d'une rivière qui s'étire sage et monotone le long des berges. Gare, pourtant! Car on ne saurait trop se fier à l'apparente nonchalance des eaux un rien brunâtre de la rivière. Ici, comme nulle part ailleurs, des crues torrentielles peuvent soudain déferler et tout anéantir sur leur passage. Les déluges peuvent s'abattre sur la ville et réveiller les eaux endormies de la Vilaine, provoquant ainsi d'impétueuses et dévastatrices inondations...

     C'est du moins ce qui, en des temps reculés, se produisit à Acigné. Mais quand était-ce exactement? Et qui s'en souvient encore? Dans cette histoire extraordinaire, de nombreux détails font défaut, et certaines incohérences ou l'intervention de forces occultes laissent planer un doute sur la véracité des événements qui se sont déroulés. Et pourtant, la légende demeure.

     Sans remonter à l'époque du paléolithique, période au cours de laquelle Acigné et ses environs étaient peuplés de vaillants chasseurs simplement habillés de peaux de bête, un retour de quelques siècles en arrière s'impose pour camper le décor.

     Au début du XIè siècle, Rivalon, dit le "Vicaire", est un puissant seigneur qui règne sur un fief important incluant Vitré, Marcillé-Robert et Acigné. Vers 1010, il va structurer ses terres en seigneureries vassales à la tête desquelles il place ses fils. Renaud, son troisième garçon, deviendra ainsi le premier seigneur d'Acigné. C'est sur un îlot de la Vilaine que le nouveau seigneur décide de faire construire une motte, c'est-à-dire une butte artificielle fortifiée de remparts très hauts et sur laquelle on édifie un château flanqué de tours imposantes : "le fort de la Motte". Plus tard, sur un autre îlot proche, on fera ériger une chapelle. De ces deux constructions féodales, il ne reste plus rien aujourd'hui, si ce n'est une motte de terre et une vieille légende...

     Plus de trente descendants illustres portèrent le titre de seigneur d'Acigné, jusqu'à la Révolution française, où leurs traces se perdent. "Ils ne craignent pas même les monstres" : cette devise attachée à leur nom en dit long sur leur bravoure et leur valeur au combat. Prenant les armes contre Richard Coeur de Lion, afin d'obtenir la libération de Constance, la duchesse de Bretagne, contre Jean Sans Terre, pour venger l'assassinat du duc Arthur de Bretagne, ou encore lors de la bataille de Nicopolis, les seigneurs d'Acigné étaient de vaillants chevaliers, ce qui leur conférait une juste renommée en Bretagne. Toutefois, ils ne se montrèrent pas tous preux, honnêtes et sans reproche.

     Ainsi, l'un d'eux avait eu deux fils. Le premier, fier et digne descendant de cette haute lignée, était de caractère doux et aimable, bon époux et bon père de famille. Le second, au contraire, d'un tempérament méchant et envieux, sournois et querelleur, menait une vie trouble et dissolue : quelque peu sorcier, il était craint et unanimement détesté aux alentours. Pour le vieux seigneur fatigué qui avait passé sa vie sur les champs de bataille et qui déjà se voyait déclinant, il n'y avait plus à tergiverser : le château et l'administration du domaine iraient à l'aîné, tandis que le cadet n'aurait pour héritage que quelques fermes et terres sans valeur. C'était pour lui l'assurance que le glorieux blason ne serait pas terni. Le cadet, révolté par l'injustice qui lui serait bientôt faite, n'attendait que son heure pour agir.

     A la mort du vieux seigneur, les biens furent partagés comme convenu : l'aîné hérita de tout et le second du reste, autrement dit, de rien ou presque. Tandis que le premier régnait sur la châtellenie et demeurait au château en compagnie de sa femme et de ses deux enfants, le frère se résolut à quitter les lieux en se jurant qu'il y reviendrait un jour en maître. La haine éprouvée pour le père qui l'avait dépossédé se tournait désormais vers son frère aîné et sa famille. Car tout bien calculé, il ne suffisait pas que le seigneur d'Acigné décède pour qu'il puisse hériter à son tour, mais bien qu'aucun de ses descendants ne lui survécussent. Son plan se tramait et, doté de certains pouvoirs maléfiques, il ne lui fut pas difficile de le mettre à éxécution. Seule un peu de patience lui serait nécessaire pour parvenir à ses fins.

     C'est ainsi qu'il confectionna quatre petites poupées de cire, représentant chacun des membres de la famille abhorrée. Chaque jour, il faisait fondre un peu de cire, la juste quantité pour que le sortilège puisse agir. Chaque jour, la santé de son frère, de sa femme et des deux enfants se déteriorait davantage. Tous les médecins appelés au chevet des malades y perdirent leur latin; aucune potion, aucun remède ne vinrent les soulager, on ne pouvait les guérir ni déceler l'origine de ce mal incurable. Il fallait s'y résoudre, ils allaient tous mourir.

     Plein d'une affection feinte et d'une sollicitude hypocrite, le frère cadet ne manquait pas de prendre régulièrement des nouvelles de la famille et de s'interroger à voix haute sur l'étrange et terrible mal qui les frappait. Un tel revirement dans son attitude ne pouvait qu'alerter le seigneur d'Acigné. Trop tard, pourtant : le sortilège opérait, et avançait même à grands pas; il n'y eut bientôt plus de cire sur les figurines. C'est ainsi que le jeune seigneur, son épouse et ses enfants s'éteignirent.

     L'assassin n'attendit pas que la dernière poignée de terre fut jetée sur la tombe de ses victimes pour s'installer au château. Plus que satisfait par l'accomplissement de ses sombres desseins, il hérita enfin des biens auxquels il aspirait tant et devint à son tour seigneur d'Acigné. Mais au village, en ce temps-là, vivait saint-Martin. Cet homme pieux et charitable était vénéré dans toute la région. Il était venu de Tours pour convertir les païens et les mener sur le chemin du Christ et de la foi. Alentour, on lui prêtait maints pouvoirs. Capable d'invoquer la foudre et l'orage, saint-Martin avait en outre le don de guérir les malades, de rendre la vue aux aveugles et la parole aux muets. Mais le plus grand de tous ses pouvoirs était de ressuciter les morts. Il n'accomplit aucun miracle de la sorte pour le jeune seigneur d'Acigné qui venait de périr avec les siens. En revanche, il décida de détourner la malédiction vers l'assassin. Peu de temps avant de mourir, le seigneur d'Acigné, convaincu que la maladie qui l'emportait n'était pas naturelle, pensa qu'il avait été ensorcelé. L'étrange conduite de son frère le lui prouvait de manière indiscutable. Il était donc allé voir saint Martin, lui avait fait part de ses soupçons et l'avait prié de le venger. Ce dernier, qui toute sa vie durant avait pourchassé les démons, avait accepté.

     Une nuit, alors que tous dormaient au château, saint Martin invoqua la foudre et l'orage, qui bientôt s'abattirent en pluies diluviennes sur le fort de la Motte. Après plusieurs jours d'un déluge comme on n'en vit jamais plus dans le pays, la Vilaine bouillonnante se remplit, quitta son lit et se transforma en un torrent d'une violence inouïe qui emporta tout sur son passage. Les deux îlots d'Acigné furent submergés, et rien ne résista à la puissance de la vague. Du château, du seigneur assassin et de ses serviteurs, il ne restait plus rien. Seuls les deux îlots mis à nu refirent surface après la décrue.

     La chapelle fut également engloutie par le torrent. On raconte cependant que tous les ans, à Noël, résonne encore aux douze coups de minuit, une cloche sous les eaux de la Vilaine. Et gare à celui qui l'entend, car c'est l'annonce de sa mort prochaine...

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Analyse des faits et hypothèses AG :

- en 1010, le baron de Vitré, Rivallon le vicaire (ou "vicomte"), également seigneur de Marcillé-Robert et Acigné, avait cédé le territoire d'Acigné à son troisième fils RENAUD. Il aura alors fait ériger un "château" avec des palissades en bois sur une motte érigée sur un îlot route de Servon, en quittant le bourg. Ce fut effectivement le premier "seigneur d'Acigné" du fort de la "Motte". Venant de Mayenne, la "Vilaine" agrémente le site qui sera positionné avec, en amont,  les moulins du "Gué" en Servon-sur-Vilaine, de Brécé et de "Moncorps" en Noyal-sur-Vilaine et, en aval, le moulin d'Acigné. Un second îlot accueillera une chapelle, en 1240.

Enquête en 3 temps : qui étaient le seigneur et ses deux fils de la légende?

- Concernant les deux fils du seigneur de la légende, le bon et le sorcier, on notera que parmi les trente descendants on évoque les combats contre Richard Coeur de Lion (1157 - 1199) et Jean sans Terre (1166 - 1216). Richard, poète et écrivain, est élevé dans les régions occitanes, parmi les troubadours. Il s'exprime avec la langue d'oc (doc) et, bien que Roi d'Angleterre, il ne parlera jamais l'anglais et n'y séjournera que quelques mois. Alain 1er d'Acigné avait pris les armes contre lui pour faire libérer la duchesse de Bretagne,Constance, en 1198. La duchesse ne voulait pas épouser l'ami de Richard Coeur de Lion, le comte de Chester! Cinquième et dernier fils du roi Henri II d'Angleterre, descendant des Plantagenets normands et d'Aliénor d'Aquitaine, Jean n'était pas destiné à monter sur le trône. Il fut donc surnommé "Sans terre" par son père.  Mais la révolte ratée de ses frères aînés vers 1173/74 en fit le fils préféré d'Henri II. Il devra cependant attendre la mort de ses trois frères  Geoffroy, Guillaume et Henri puis une compétition avec le neveu Arthur (assassinat évoqué) pour accéder au pouvoir à la mort de Richard en 1199. Ses contemporains présentaient Jean comme un tyran, un personnage cruel, repris ensuite par Shakespeare et les aventures de "Robin des Bois". A nouveau, Alain 1er d'Acigné reprendra les armes en 1203, contre Jean sans Terre cette fois-ci, pour venger l'assassinat du jeune duc Arthur de Bretagne, avec pour devise "Necque terrent monstra" ("ils ne craignent pas même les monstres"... qu'on peut retrouver jusque sur des vitraux de l'église de Marcillé-Robert).

     On a alors la trame du père Henri II, les deux fils, l'un bon (Richard) et l'autre méchant (Jean le sorcier). Cette version serait trop belle pour être crédible, Acigné n'a que le droit d'y rêver.

     Revenons alors à la généalogie d'Augustin du Paz : il indique la lignée des premiers seigneurs d'Acigné avec, pour père du seigneur Rivallon d'Acigné, Martin de Rennes le "puîné"!, fils  de Juhaël Béranger, comte de Rennes et frère de Conan l'aîné dit le "Tort" (parce qu'il boitait). Ce Conan était quand même duc de Bretagne! Martin de Rennes reçu en héritage les seigneureries de Vitré, Marcillé-Robert et Acigné... Son fils, Rivallon le vicaire, partagea ses terres en 1010 entre Tristan (ou Triscan) l'aîné, qui reçut Vitré; Robert le cadet Marcillé et Renaud le plus jeune la seigneurerie d'Acigné qui devait être bien modeste. Mais, on le verra, la lignée sera récompensée, après des parcours en France et hors de France, pour s'achever au début du XVIIème siècle en marquisat.

     Dans cette descendance de Renaud d'Acigné qui nous intéresse, un seigneur avait eu deux fils, l'un bon et l'autre auteur d'un crime. On ne peut que supposer :

- Hervé, témoin du duc en 1031,mort en 1060. Descendance non connue.

- Geoffroy 1er, témoin d'une donation en 1087. Descendance non connue.

- Raoul 1er, caution du baron de Vitré en 1107. Descendance non connue.

- Hervé II, époux de Mayence de Dol. Descendance non connue.

On écarte : Pierre 1er car il eut trois fils et pas deux comme dans la légende. Tout comme Péan (ou Payen), père de quatre enfants ou Pierre III, père du seul Jean 1er.

Alors quel est ce père qui n'aura eu que deux fils avérés? :

- On peut désigner Alain 1er, vaillant combattant contre Richard Coeur de Lion et Jean sans Terre. Il eut bien deux fils : Adam et surtout Alain II qui devint seigneur d'Acigné et participa à la bataille de Chateaubriant en 1222. C'est lui qui fit construire la chapelle de la "Motte"d'Acigné en 1240. Aurions-nous Alain II "le bon" et Adam le "sorcier? Ce prénom d'Adam rejoint également l'histoire d'Adam qui pêcha avec Eve. Et cela nous arrange bien... Ajoutons que le successeur de Alain II fut Pierre II d'Acigné qui y demeurait en 1263, toujours sous le règne de saint-Louis. Il aurait du s'appeler Alain III. Ou alors serait-il le fils de Adam d'Acigné, le deuxième fils d'Alain Ier qui aurait pris le pouvoir en éliminant son frère Alain II? Ce qui crédibiliserait la solution à cette affaire mêlée de "légende dissimulatrice" émise après "Nicopolis".

- pour l'allusion à "Nicopolis", il faut s'en aller en Bulgarie, en 1396, où Jean II d'Acigné participa à une bataille contre les Turcs. Ayant perdu avec une coalition, parmi lesquels des Français ou Hongrois, le seigneur d'Acigné fut relaché après rançon ainsi que deux autres chevaliers bretons.

                 La réponse de Alain RACINEUX, historien local :

                   "Je pencherais plutôt pour le destin des deux fils de Jean II d'Acigné.       L'aîné, Pierre, mourut mystérieusement à Marseille, et son frère cadet lui succéda en 1403, année de la mort du père Jean II, et décida de s'appeler Jean III. A cette époque, il décida de quitter Acigné et de s'installer chez sa femme au manoir de "Fontenay" en Chartres-de-Bretagne en 1408. Il n'y vécut pas longtemps puisqu'il y mourut en 1410. Tout cela est propice aux soupçons évoqués dans la légende.

     A la fin du XVème siècle, l'historien Pierre Le Baud, qui fréquentait la cour du seigneur de Châteaugiron, écrivit pour la première fois la "légende de l'engloutissement de la ville d'Ys". On y trouve les mêmes ingrédients que dans la légende d'Acigné : recours au paganisme, châtiment divin par engloutissement de la ville, dont on entend parfois les cloches sonner sous la mer lors de certaines marées. Il se peut alors que c'est Pierre Le Baud qui a inventé la légende d'Acigné."

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- Notons le parcours très original de Pierre d'Acigné, frère cadet de Jean II : vaillant et adroit aux armes, on le surnomma, avant Bayard, "chevalier sans peur et sans reproche". Il suivit Louis d'Anjou, frère du roi Charles V, dans les guerres qu'il eût en Guyenne et Poitou contre les Anglais, puis lors de la conquête du comté de Provence. Après la mort du duc, il servit son fils Louis II d'Anjou, à la conquête de Naples. Très satisfait de ses services, Louis II, duc d'Anjou, comte de Provence et roi de Sicile, nomma Pierre d'Acigné "Grand sénéchal de Provence" et lui accorda diverses seigneureries dont celle de SAINT-TROPEZ! cela méritait d'être relevé.

    Le dernier seigneur d'Acigné, Jean VIII, était marié à Jeanne du Plessis. Il mourut en 1573. Son portrait peut se voir sur un tableau dans la salle du conseil municipal d'Acigné. Sa fille, Judith d'Acigné, épousa  en 1579 Charles de Cossé, duc de Brissac, gouverneur de Paris, maréchal de France, qui, pour fait historique, décida d'ouvrir les portes de la capitale à Henri IV en 1594. En récompense, la seigneurerie d'Acigné fut érigée en marquisat en 1609.

 - Quant à Saint-Martin de Tours "vivant à Acigné", on est bien loin du décor et de l'espace Temps mais cette présence évoquée librement en rajoute à l'intérêt porté par le lecteur ou l'auditeur de la légende! Vénéré à Acigné, l'église lui est dédiée, mais il est décédé vers 396/400. Notons alors la mémoire du peuple et le bon souvenir des disciples du saint. 

 - Le "château"/fort de la "Motte"de Alain II, seigneur d'Acigné, ou plus précisément son "manoir" a bien été détruit par des soudards au printemps 1234 sur ordre de Pierre dit "Mauclerc", Duc de Bretagne, pour avoir pris le parti de Saint Louis. Le bourg et le (s) moulin (s) furent également incendiés. Ayant perdu cette guerre, Pierre de Dreux fit dédommager les habitants d'Acigné. La chapelle fut construite à la "Motte" en 1240 et un mariage y fut célébré en 1636. Ses ruines ont été détruites au XIXè siècle par le fermier de la Basse Motte. La lignée des seigneurs d'Alain II obtint du roi trois fleurs de lys de France sur son blason. Remerciant envers Louis IX (1214/1270), les acignéens ont gardé la mémoire de Saint-Louis en le représentant avec une statue positionnée de nos jours à l'extérieur de l'église. Une grande fête en son honneur se déroula fin août depuis des temps éloignés. La dernière eut lieu en 1990.

- Des inondations importantes étaient régulières sur le territoire d'Acigné. De nos jours 3 barrages en amont vers Vitré  retiennent les excès des crues de la "Vilaine". Ces faits répétés sont en lien avec des "pluies diluviennes et un déluge".

- Pour indice de l'importance d'une troupe locale, on peut signaler l'aide apportée par Jean IV d'Acigné, qualifié de "capitaine", qui participera au siège de Pouancé en janvier/février 1432 avec 20 hommes d'armes et 20 hommes de trait.

En conclusion, on  peut présenter cette légende avec un fait avéré, 1234 et la destruction du château/manoir, le souvenir d'une lignée de seigneurs valeureux, le report de personnages sur ces frères Richard et Jean ou Adam,  Alain II, Jean II, ... le tout avec Saint-Martin, Saint-Louis et une bonne dose de pluviométrie et sorcellerie du Bas Moyen-Age. Situons le récit après l'évocation de Nicopolis de 1396, très probablement écrit par Pierre le Baud.

     Notre historien local, Alain Racineux : "les châteaux d'Acigné et Chevré furent détruits sur ordre du duc de Bretagne, de nuit et à la faveur d'une trève. Cet épisode était peu glorieux pour tout le monde : pour les seigneurs rebelles, susceptibles d'être accusés de félonie envers leur suzerain; et pour le duc, susceptible d'être accusé de fourberie et mesquinerie. Aussi, certains entreprirent-ils d'effacer ce mauvais souvenir en inventant une légende pour créer une diversion et faire oublier la véritable histoire. Puisque les châteaux avaient été détruits par le feu, la légende, pour brouiller les pistes, raconta qu'ils avaient été tous les deux submergés par les eaux. Et, comme le duc de Bretagne, puissance terrestre, s'en était mêlé, la légende fit intervenir, à la place, des puissances invisibles : le diable et le bon dieu.

     Dans la seconde légende, le château de Chevré, autrefois appelé château de Gannes, était un château fort avec des murs et de grandes tours en pierres. Mais son seigneur, très riche, se comportait trop comme un païen. La nuit de Noël, il avait organisé un grand bal au lieu d'aller à la messe de minuit, et il s'était enivré de cidre. Aussi le châtiment divin vint-il le frapper sous la forme de la foudre et d'un orage démesuré qui engloutit le château et tous les danseurs dans un gouffre. A sa place se forma un grand lac aux eaux sombres. Pour rajouter un peu de piment à la légende, ses auteurs ont raconté qu'à chaque nuit de Noël, on entend de la musique et des cris provenant de l'étang de Chevré.

     Pour le récit de la "Motte" d'Acigné, plus troublante est l'allusion aux deux frères. Nous savons que Pierre, fils ainé de Jean II, décéda inopinement à Marseille, où il fut enterré dans l'église saint-Louis. Son frère cadet prit donc à sa place la sucession de la seigneurerie d'Acigné, sous le nom de Jean III. C'est celui-là même qui déplaça la résidence seigneuriale d'Acigné à Fontenay en Chartres de Bretagne, et qui mourut prématurement en 1410, deux ans après son mariage. Ces faits offrent des coïncidences symboliques avec la légende. Alors faut-il y voir un récit malveillant ou au contraire une vérité cachée? "Histoire d'Acigné et de ses environs", 1999, pages 47/48.

 

6 - La légende du Roi Arthur : Xavier de Langlais (1906 Sarzeau - 1975 Rennes)

     En 1975, Langleiz (Xavier de Langlais) publie la version bretonne du Roi Arthur, un classique de la littérature bretonne. Arthur, roi de la Petite et de la Grande Bretagne (Breizh-Vihan, Breizh-Veur) méritait un ouvrage en breton à la hauteur de sa réputation. Son "Romant ar roue Arzhur" publié en 1975 est un modèle de clarté et de limpidité lexicologique qui en fait un grand classique de la littérature bretonnante.

     Langleiz sait ciseler par des mots simples les célèbres aventures du roi comme celle de l'épée enlevée de l'enclume "Tous le virent s'agenouiller devant l'enclume, et prenant le pommeau de l'épée les mains jointes comme pour prier, il enleva sans difficulté la lame de sa gangue de fer". Par une recherche précise dans le vocabulaire guerrier, il restitue les batailles dans leur férocité médiévale : "le roi et ses compagnons fendirent la foule comme un bloc, laissant derrière eux des rangées d'hommes et de chevaux culbutés à terre comme par la main d'un géant."

     La légende du roi Arthur, c'est aussi l'amour qui le lie à Guenevièvre et qui enflamme les cours seigneuriales du Moyen-Age : "ils s'étreignirent et échangèrent un baiser si doux et si savoureux qu'ils n'oublieraient pas de sitôt". Arthur ne serait rien sans Merlin l'enchanteur : "Merlin qui commande aux orages, à la pluie, à la grêle et à la neige au nom des quatre piliers sacrés du monde : la terre, l'eau, le feu et le ciel". C'est aussi Merlin qui invente la table ronde qui réunit les chevaliers dignes de chercher le Graal, une quête spirituelle que Langleiz raconte dans cinq romans publiés en français. Un travail rigoureux salué par tous les spécialistes." Bernez Roux O.F. 13/5/18

A lire également du même auteur "L'île sous cloche".

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   Les Légendes Arthuriennes: une histoire politique du XIIè siècle"

 

      par Yannick Lecerf

 

   Le mythe arthurien est assurément celui qui marque encore les générations actuelles. A peine ensommeillées au fin fond de la forêt de Brocéliande, les fables de Merlin, des fées de la cité d'Avalon, du chevalier Lancelot, renaissent sans cesse et encore sous l'égide d'associations et certains cultes forestiers. Regardons cela de plus près par le prisme des données historiques et archéologiques :

         
    MERLIN : Il était une fois... deux jeunes filles vivant dans une petite maison au bord de la forêt. L'une, débauchée, menait grand train dans les tavernes des villages environnants. L'autre, la douce Maëlle, dans une vie rangée, tenait la maison. Très pieuse, sans espoir de ramener sa dévergondée grande soeur vers les préceptes d'une vie ordonnée, elle se confiait à son confesseur le Père Blaise. Une nuit où elle sommeillait seule dans la petite maison, elle fut visitée par un esprit d'Avalon venu de la cité au fond du lac. Très perturbée, à son réveil, elle se précipita chez son confesseur afin d'être rassurée de cet étrange trouble nocturne. Quelques mois plus tard naissait un petit garçon baptisé MERLIN. Par sa mère, Merlin reçu une stricte éducation chrétienne. Le Père Blaise, devenu son père spirituel, était un ancien DRUIDE converti au christianisme. Si ce dernier inculqua au jeune Merlin toutes les recommandations de la religion monothéiste, il ne manqua pas de l'initier également aux cultes de la forêt et aux divinités du PANTHéON DRUIDIQUE.Très tôt, le jeune MERLIN prit conscience de ses pouvoirs extraordinaires. Le Père Blaise lui apprit comment contrôler ces dons hérités des Dieux de la Nature. Merlin pouvait voyager dans le temps, lire l'avenir, ... Il était aussi Roi d'AHèS (la cité d'Avalon) où se trouvait gardée l'épée magique EXCALIBUR  .

 

    UTHER PANDRAGON  : Ce Roi guerrier voulait réunifier tous les clans en conflit dans un grand royaume de concorde : le Royaume de LOGRES dont la cité de "CAMELOT" aurait été un idéal de paix. Pour parvenir à ses fins il devait guerroyer contre de nombreux chefs de clan trop attachés à leur indépendance. Impliqué dans ce beau projet, son ami MERLIN lui avait confié EXCALIBUR. Si l'épée magique lui assurait des victoires, son fourreau protégeait le Roi des blessures. Tantôt brèves, parfois plus âpres, les guerres de voisinage se succèdaient. Celle qui opposa UTHER PENDRAGON au puissant seigneur GORLOIX semblait s'éterniser au-delà du raisonnable.

 

  GORLOIX : Ce Roi chrétien de la grande cité de TINTAGEL mène simultanément plusieurs conflits. Il combat des cultes druidiques afin d'imposer le christianisme et tient tête aux assauts d'UTHER PENDRAGON. Dans cette guerre qui éreinte les deux clans, les rois bélligérants décident d'une trève de plusieurs jours. Grand seigneur, GORLOIX organisant une chasse suivie d'un grand banquet, y invite son ennemi UTHER PENDRAGON. Après les battues dans les forêts avoisinantes tous se retrouvent autour de grandes tablées parmi lesquelles circulent jongleurs et ménestrels. La Reine IGRAINE (ou IGERNE) marque le banquet de sa présence...

 

    IGRAINE ou IGERNE : IGRAINE et GORLOIX ont deux filles : MORGANE et MORGAUSE. Parée de ses plus beaux atours la Reine IGRAINE, placée entre son époux GORLOIX et UTHER PENDRAGON, rayonne de sa grande beauté. Ebloui par tant de charme UTHER PENDRAGON s'éprend de la dame des lieux. Mais celle-ci refuse obstinément les avances réitérées de l'invité. Alors, n'y tenant plus, le soupirant éconduit sollicite son ami MERLIN pour l'aider à conquérir le coeur de la Reine. Après quelques réticences, MERLIN accepte de donner à UTHER PENDRAGON les traits de GORLOIX, mais seulement pour une seule et unique nuit. Grâce à ce subterfuge UTHER peut ainsi rejoindre la couche d'IGRAINE. Peu de temps passe pour que naisse un petit garçon baptisé ARTHUR. Dès sa naissance le nourisson est emporté par MERLIN pour être confié aux FéEs d'AVALON qui se chargeront de son éducation. Dans sa grande colère, GORLOIX, qui vient de découvrir sa déconvenue et le fait que la Reine est très proche du culte druidique des FéES d'AVALON, renie son épouse et l'enferme dans une geôle du château.

 

    ARTHUR : le jeune et futur Roi ARTHUR est donc le fils d'UTHER PENDRAGON et d'IGRAINE. Il est aussi le demi-frère des FéES MORGANE et MORGAUSE. Quand arrivera le temps de succéder à son père il deviendra ce puissant Roi époux de GUENIEVRE. C'est encore lui qui présidera à la grande TABLE RONDE où prennent place les preux chevaliers du ROYAUME de LOGRES.

 

   Les 9 Dames ou Fées d'AVALON  :  ARGANTE la "Blanche" ou ausssi nommée le "Corbeau". Elle peut voyager sous divers aspects et à travers le temps. MORGANE est la gardienne d'EXCALIBUR dans la cité des Brumes d'AVALON. MORGAUSE, la seconde demi-soeur d'Arthur. VIVIANE, amoureuse de MERLIN. RAGNELLE, épouse de GAUVAIN. Le soir venu elle devient la plus belle femme du Royaume. CUNDRY guide les chevaliers dans leur quête du GRAAL. GANéDA qui voit l'avenir. DINDRENE dont le sang a des vertus curatives. KERIDWENN la gardienne du chaudron magique.

   

     LE GRAAL : le Saint Calice apparaît pour la première fois au XIIè siècle dans le roman de Perceval ou la Quête du GRAAL sous la plume de Chrétien de Troyes. Cette coupe, utilisée lors de la Cène (Communion et dernier repas de Jésus avec les apôtres), aurait permis de receuillir le sang du supplicié sur la croix. Elle aurait été taillée par SIMON Le Lépreux dans un cristal de roche tombé du ciel. Puis confiée par Dieu à Joseph d'Arimathie pour avoir accepté d'accueillir le Christ dans son tombeau après sa descente de croix. A sa mort Joseph d'Arimathie l'aurait donné à son fils prénommé également Joseph. Ce dernier, fuyant les persécutions en Palestine, l'aurait égarée lors de sa fuite vers la BRETAGNE INSULAIRE.

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     La Saga Arthurienne débute au Moyen-Age au XIè et début du XIIè siècle: l'invasion de l'Angleterre par des Normands et un tiers de Bretons en 1066/ Sucession de GUILLAUME Le Conquérant, Henri I "Beauclerc"; une "Empeuresse Mathilde" et la commande d'une généalogie à Geoffroy de MONMOUTH, avec aussi des écrits inventant "MERLIN, Camelot, l'épée Excalibur, ..."

     

     Au XIè siècle la transmission de l'information se réduisait au colportage d'histoires confiées aux trouvères et troubadours, seuls la noblesse et le haut clergé pouvaient espérer être éclairés des décisions du Royaume.Le clergé régulier concentrait l'essentiel des érudits et savants et la noblesse guerrière ne se distinguait pas par une grande culture et le nombre de ses lettrés, d'où une situation propice à générer une Histoire revisitée mise au service de leurs ambitions.

 

    Personnage central Guillaume Le Conquérant et son long règne de 21 ans : 1066 (invasion de l'Angleterre) jusqu'à 1087 avec l'unification et l'expansion de son Royaume. Au cours des treize années de la succession Guillaume Le Roux poursuit la même politique que son père de 1087 à 1100.

 

   1100 : Henri I "Beauclerc" , fils cadet de Guillaume Le Conquérant. Dans ses 35 années de pouvoir, il s'appliquera à la stabilisation de son Royaume. Ce grand souverain aura deux épouses : Mathilde d'Ecosse et Adélaïde de Louvain. Trois enfants naîtront de la première union : deux fils décédés en 1120 et une fille Mathilde. Ayant eu un grand nombre de maîtresses et concubines, ce Roi a reconnu 35 enfants adultérins. Grand seigneur, il asssurera leur vie par des positions et des titres en leur octroyant une place dans la noblesse d'Angleterre. N'ayant plus de fils héritier, un réel problème se pose alors dans une Angleterre médiévale où seuls les hommes peuvent régner. Soucieux de l'avenir de sa fille Mathilde, il décide d'organiser sa succession en convoquant ses grands barons. Il demande de prêter serment d'allégeance à Mathilde pour être reconnue "Empeuresse".

     Comme justificatif à sa décision, il commande la rédaction d'une généalogie des Rois d'Angleterre à

 

Geoffroy de MONMOUTH (1095 - 1155). Cet évêque, chroniqueur, historien au service de Henri I va donc écrire, selon les directives royales, l'HISTOIRE DES DYNASTIES D'ALBION. Les 12 volumes sous le titre "Historia regum Britanniae" paraîtront avant l'année 1135. Cette imposante compilation sera suivie de deux rédactions : "PROPHETIA MERLINI" (les Prophéties de Merlin) et de "VITA MERLINI" (la Vie de Merlin).

 

     Lorsque HENRI I BEAUCLERC meurt en 1135, ses funérailles à peine achevées, les grands barons du Royaume s'opposent à l'avènement de Mathilde. Reniant leur serment, il leur apparaît inconcevable d'accepter un pouvoir féminin. Des prétendants assez inattendus se présentent. Ainsi le Comte Robert de Gloucester, fils aîné adultérin du feu Roi, vient s'inscrire dans la course au pouvoir. Parmi ses atouts, outre sa filiation naturelle, il fait valoir que l'un des deux romans de la plume de Geoffroy de MONMOUTH lui est dédié. Loin de rallier les barons récalcitrants, cette candidature ne reçoit que très peu de soutien.

 

         Alors les barons se tournent vers ETIENNE de Blois (petit-fils de Guillaume Le Conquérant). Celui-ci, sous l'insistance, acceptera de porter la couronne d'Angleterre en 1135. Hélas, très vite il se révèlera un piètre souverain avec des hésitations et faiblesses. Ce sera une longue période de 19 ans d'instabilité connue sous l'appellation "l'ANARCHIE"! Certains historiens supposent que l'un des deux écrits sur MERLIN aurait été commandé par Etienne d'Angleterre dans le but d'affermir sa gouvernance. Miné par la maladie, Etienne d'Angleterre meurt en 1154. L'espoir renaît chez le Comte de Gloucester qui, de nouveau, tente d'accéder au pouvoir. Mais, devant un prétendant plus légitime - le Comte HENRI d'ANJOU - le fils bâtard d'HENRI I s'efface très vite pour se ranger sous la bannière de ce concurrent porté par une large majorité des barons.

 

       En l'An 1154, le Comte d'ANJOU est couronné sous le nom d'Henri II PLANTAGENET. A la tête d'un puissant Royaume auquel se joignent des provinces amies, sinon soumises, comme la NORMANDIE, l'AQUITAINE, l'ANJOU et la BRETAGNE, ce souverain aura de nombreux conflits avec son "petit voisin" LOUIS VII, Roi de France ainsi que son successeur PHILIPPE AUGUSTE.Cet antagonisme de caractère commercial et territorial se trouvera exacerbé par la rivalité autour d'une femme. En effet, en 1152, après avoir fait annuler par le Pape son mariage de 1137 avec LOUIS VII, ALIéNOR D'AQUITAINE épouse le Comte HENRI d'ANJOU. La fuite d'ALIéNOR d'AQUITAINE qui avait déjà trois enfants avec le Roi de France est vécue comme une trahison. D'autant qu'en recevant l'Aquitaine le Roi d'Angleterre agrandit considérablement son territoire.

     Cependant, malgré ses faiblesses, LOUIS VII se réfère dans tous ses actes à l'ascendance prestigieuse héritée de CHARLEMAGNE. Se voulant son égal, HENRI II PLANTAGENET va commander à Robert WACE le complément des écrits imaginés par Geoffroy De MONMOUTH. Robert WACE (1100 - 1178/83?), poète Normand né à Jersey, va compléter la généalogie première des dynasties anglaises puis rédiger deux romans : "Le ROMAN de BRUT" et le "ROMAN de ROU". Ces documents suffiront au monarque anglais pour se hisser au niveau des Rois de France.

 

     Puis apparaît un troisième personnage (après Geoffroy De MONMOUTH et Robert WACE), sans doute le plus connu : Chrétien de Troyes (1130 - 1190), érudit, écrivain et clerc éduqué dans un monastère de Champagne. S'étant écarté de la vie monastique, ce lettré au service du Comte de Flandre est mis à disposition du Comte de Champagne pour venir compléter la SAGA ARTHURIENNE. On peut être surpris de voir s'immiscer dans le conflit entre les deux souverains des acteurs apparemment éloignés des préoccupations territoriales, économiques et privées à l'origine des rivalités du moment. Cependant, on découvre que l'épouse du jeune Comte de Champagne est MARIE d'AQUITAINE. Mariée à l'âge de 19 ans avec le Comte qui n'en avait que 13, MARIE est la fille d'ALIéNOR et de LOUIS VII. En se rangeant au parti de sa mère et de son beau-père, elle s'écarte des visées expansionnistes de son père le Roi de France. Par ailleurs le jeune Comte de Champagne, très épris de son épouse, lui laisse diriger la commande faite à Chrétien de TROYES. Très productif, le nouvel intervenant va rédiger une suite de récits chevaleresques invraisemblables, mais parfaitement dans la mode du temps. Ainsi pourra-t-on lire : "ERIC et ENIDE", "LANCELOT ou la Chevalier de la Charrette", "YVAIN ou le Chevalier au lion", "PERCEVAL ou le conte du GRAAL" ...

 

 Un quatrième et dernier auteur viendra compléter les romans ARTHURIENS: Robert de BORON (ou BORRON), clerc très probablement Chevalier de BORON, originaire de Franche-Comté. Ayant vécu fin du XIIè au début du XIIIè siècle, son oeuvre traitée en vers autour de l'histoire du GRAAL marque une évolution du MYTHE ARTHURIEN. A ce moment de l'Histoire il faut satisfaire aux grandes réformes grégoriennes lancées au cours du XIè siècle par le Pape GRéGOIRE VII. Reprenant les écrits de ses prédécesseurs ce dernier auteur apporte une très présente christianisation dans la légende.

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     ARTHUR, personnage central de cette longue saga, n'est pas le fruit du hasard. La narration montre un Roi soucieux de créer un grand Royaume de "CONCORDE". Ses auteurs ont pu s'inspirer du grand BRIAN BORU, ce Roi Irlandais qui, dans la seconde moitié du Xè siècle guerroie pour rassembler tous les clans opposés. Par ailleurs, un autre grand Roi combattant du nom d'ARTHUR est cité dans les légendes du IXè siècle...

   

     Plus tard, comme pour assurer à son fils né en 1187 la meilleure position à l'accès au trône d'Angleterre, la Duchesse Constance de BRETAGNE, jeune veuve de Geoffroy PLANTAGENET, nommera leur enfant du nom d'ARTHUR. Ainsi, ce petit-fils de HENRI II aurait pu succéder à Richard COEUR de LION si Jean SANS TERRE, soucieux d'accaparer le pouvoir, ne l'avait assassiné de ses propres mains dans son château à Rouen en 1203.

 

     Si la localisation du MYTHE ARTHURIEN semble aujourd'hui liée à la "Forêt de BROCéLIANDE" en Bretagne armoricaine ce fait, très rarement évoqué au Moyen-Age, apparaît clairement affirmé à partir du XVIIIè siècle.

 

     Cette affirmation est à joindre aux élucubrations et données improbables avancées comme prétendues preuves de la réalité d'un discours celtique aujourd'hui battu en brèche par l'afflux des données archéologiques. Ainsi, comme on peut le lire ici, les légendes n'ont pas nécessairement besoin d'une trame de réalité pour se substituer à l'Histoire. Aussi belles soient-elles, elles ne restent que des convictions auxquelles certains se rattachent sans aucune autre démonstration que leurs certitudes.

 

         par Yannick LECERF

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      Compléments de Jean-Pierre Tusseau, Université du Québec : les plus prestigieux chevaliers qui ont bercé les rêves d'enfance sont les Chevaliers de la Table Ronde, réunis autour du Roi Arthur. Depuis Chrétien de Troyes, leurs exploits ont inspiré bien des romanciers, dramaturges ou poètes avec de nombreux remaniements ayant abouti au grand cycle "LANCELOT-GRAAL" mais aussi "MERLIN" de Robert de Boron au XIIè siècle, la "Mort d'Arthur" de Thomas Malory à la fin du XVè siècle, les "Chevaliers de la Table ronde" de Creuzé de Lesser en 1813, les "Idylles du roi" de Tennyson en 1842, "King Arthur" de George Bulwer-Lytton en 1848, "The Waste Land" de T.S Eliot en 1922, les "Chevaliers de la table ronde" de Jean Cocteau en 1937, le "Roi pêcheur" de Julien Gracq en 1948 ... L'univers arthurien a également été source d'inspiration pour des musiciens : "King Arthur" de Purcell en 1691, "Parsifal" de Wagner en 1877, "Viviane" et "le Roi Artus" de Ernest Chausson en 1903... Nombreux sont aussi les cinéastes qui ont donné leur vision.

 

     Chrétien de Troyes : les prouesses des chevaliers vont bien au-delà des exploits terriblement physiques des chevaliers de chansons de geste. Le combat qui oppose Yvain, le Chevalier au lion, à Harpain (chap. IX) se termine par une série de comparaisons de boucherie : trancher une grillade, tailler dans le lard, arracher un gigot, tremper la lance dans le sang comme dans une sauce. Cependant le roman ne manque pas d'humour : lorsqu' Yvain, devenu invisible, observe les chevaliers qui enragent de ne pas le trouver; de la magie avec l'onguent de la jeune fille qui le guérit de sa folie, un peu d'irrévérence lorsque Chrétien de Troyes nous dit qu'avant un combat Yvain a bien confiance en Dieu ... mais ne néglige pas son lion pour autant! enfin, quelques réflexions sur l'inconstance des femmes que l'on ne peut manquer de remarquer dans ce roman courtois qui fait pourtant la part belle à la "dame". Les personnages se forgent un destin personnel contrairement aux chansons de geste avec un destin tragique dans l'univers féodal. Yvain ne lutte pas pour la grandeur du royaume ou de la chrétienté ou pour maintenir sur le trône un roi légitime à l'autorité contestée. C'est par attrait de l'aventure et de sa plénitude (seigneur de la fontaine merveilleuse).Yvain épousera la fée Laudine avant d'être mûr pour le mariage et devra accomplir une lente maturation personnelle pour reconquérir la dame. Parcours d'équilibre entre amour et chevalerie en triomphant du guerrier surnaturel Esclados. On y ajoute une ambiance de légende et de mythologie avec des dragons qui crachent du feu, des monstres engendrés par des divinités diaboliques auxquels on paie chaque année un tribut de trente jeunes filles, des géants... La forêt de BROCéLIANDE ne tire-t-elle pas son nom de "Bréchéliant" qui signifie en langue celtique "forteresse de l'Autre Monde"? Deux mondes cohabitent : celtique, plus mystérieux, et chrétien, plus rationnel où le christianisme s'approprie des lieux celtiques, comme cette chapelle située près de la fontaine occupée par une divinité des eaux.

     L'"amour courtois" inspire les romans de Chrétien de Troyes à partir du "Conte de la Charrette".

 

     Pour la critique de la Société de l'époque: qui veut enseigner les bonnes manières, fait implicitement le procès des mauvaises! Ainsi le "Livre des manières" d'Etienne de Fougères, évêque de Rennes de 1168 à 1178, nous offre le point de vue d'un prélat qui, pour avoir longtemps sacrifié aux plaisirs du siècle, n'en était que plus qualifié pour en formuler la critique, à l'heure tardive du repentir. Rutebeuf, lui, réserve ses flèches à une catégorie bien déterminée, les femmes, les bourgeois et les vilains.

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Fabliaux et Contes choisis du Moyen-Age

A la fin du xIIè siècle le veine héroïque des chansons de geste est épuisée. A côté de la poésie lyrique, idéaliste et romanesque, aristocratique et raffinée, qui va fleurir, commence à se développer une poésie plus réaliste, celle des "fabliaux" et du "roman de renart". Le premier fabliau (forme picarde ayant prévalu au françois fableau) connu est de 1159; le genre va prospérer au XIIIè siècle, pour s'éteindre au début du XIVè. Nous avons conservé à peu près 150 fabliaux, dont les "dits moraux" ou les "lais sentimentaux" mais aussi des contes merveilleux et de pieuses légendes. Le fabliau est un "CONTE court à RIRE", destiné à être récité, non chanté. Il n'utilise guère le surnaturel, est ironique et frondeur, sans être proprement satirique.

     L'INDE aurait été le berceau des contes : tous nos fabliaux en viendraient, ayant passé par les diverses littératures orientales (arabes, juives, syriaques, persanes) pour être traduites en latin et enfin en langue "vulgaire" par nos conteurs. D'autres nous seraient parvenus par la voie orale de Byzance et les Croisades. Mais il y en a qui ne peuvent être nés qu'en France, avec un jeu de mots, un trait de moeurs bien français. Ils se sont surtout développés en Artois, Flandres et Picardie avec des jongleurs errants, des trouvères, des clercs lettrés et même des gens d'église et des seigneurs.Les personnages préférés du fabliau sont les gens de classe moyenne : bourgeois, marchands, prêtres et moines, chevaliers de petite noblesse avec les traits  de cupides ou brutaux, querelleurs ou gourmands, trompeurs ou trompés, quelques fois généreux et sages; mais la ruse et la sottise font plus rire que la sagesse avec une dose de vices et et de ridicules pointés du doigt.

     Le "ROMAN de RENART" est un immense recueil d'histoires d'environ 30 000 vers répartis en 27 branches, composées depuis la fin du XIIè jusqu'au milieu du XIIIè siècle par différents auteurs. Ces aventures mettent aux prises le goupil RENART et son compère le loup YSENGRIN. On ne connait que trois auteurs, Pierre de Saint-Cloud, Richard de Lison et le "prêtre de la Croix-en-Brie". Les branches furent écrites en langue d'oïl, sur un secteur de Normandie à la Brie et l'Artois. Une petite partie le fut aussi en dialecte franco-italien. Ces histoires ont été pratiquées à partir d'oeuvres latines contant des aventures d'animaux ou des fabulistes anciens Esope, Phèdre, Babrius. Il faut aussi noter l'influence des fables de Marie de France, des Ysopets, des chansons de geste et des romans arthuriens en pleine vogue à la fin du XIIè siècle. Pour égayer son public le trouvère insère une incongruité exactement comme le fera Rabelais trois siècles plus tard. La Fontaine nous touchera plus que nos vieux trouvères parce qu'il s'est mis lui-même dans ses fables.

     Renart sera présenté comme un goupil terreur des basses-cours, mais aussi comme un personnage rusé, hardi, insolent, dénué de scrupules, menteur et larron,également plein de resources, beau parleur et perdant rarement courage dans les pires situations. Son compère Ysengrin, parfois appelé son "oncle" est au contraire borné, brutal, vorace mais il n'est pas incapable de bons mouvements.

     La "CHANSON de ROLAND"

Première oeuvre de littérature écrite en ancien français, et non en latin, vers 1100, c'est la plus célèbre de nos chansons de geste. Le mot "chanson" n'a pas le sens moderne de petite pièce divisée en couplets accompagnés d'un refrain. Les trouvères ont donné ce nom à de grandes compositions, à de longs poèmes qui étaient chantés. Le mot "geste" (du latin gesta, verbe gerere : faire, accomplir) est à prendre avec le sens d'actions mémorables comme la "geste du roi Charlemagne". La "Chanson de Roland" a rendu célèbre le personnage durant tout le moyen âge jusqu'au début de la Renaissance et ce daOlifantns tous les pays d'Europe. 

     Le moine bénédictin Guillaume de Malmesbury prétendit dans la première partie de son Histoire d'Angleterre (Gesta regum Anglorum) écrite au début du XIIè siècle, qu'elle fut chantée par les Normands à la bataille d'Hastings, en 1066. Cependant le texte fut délaissé progressivement et considéré comme perdu. C'est seulement en 1832 qu'un élève de l'Ecole Normale Supérieure, Henri Monin, signala l'existence à la Bibliothèque Royale (maintenant Nationale) de deux manuscrits relatant "un roman fort curieux... intitulé le Roman de Roncevaux". En 1837, Francisque Michel publia une édition d'un manuscrit conservé à la Bibliothèque Bodléienne d'Oxford, qui contenait une version plus ancienne que les manuscrits de Paris. Puis parurent des études sur d'autres manuscrits à Venise, Châteauroux, Lyon, Cambridge, ... Durant tout le Moyen Age, le poème fut remanié pour satisfaire le goût du jour. Aussi les manuscrits ne sont pas tous de la même importance (la version Oxford compte 4 002 vers, celle de Paris plus de 12 000). Le récit se divise en trois parties :

- la trahison de Ganelon; depuis sept ans Charlemagne lutte contre les Sarrasins d'Espagne; il a conquis tout le pays, sauf Saragosse où règne le roi Marsile, las de la guerre. L'ambassade envoyée à Charlemagne est chargée de faire de mensongères propositions pour obtenir la paix. Le neveu Roland ne croit pas à la sincérité de Marsile et craint un piège. Mais Ganelon conseille de conclure le traité. Le messager désigné par Roland sera son beau-père Ganelon qui en est fort irrité. Il s'engage avec les Sarrasins à le faire mourir en le plaçant à l'arrière-garde de l'armée.

- le désastre du défilé de Roncevaux (situé le 15 août 778) et la mort de Roland (préfet des Marches de Bretagne) : Roland par trois fois refuse de donner du cor pour appeler à l'aide Charlemagne. Son armée succombera sous le nombre et, seul survivant, il défendra son épée Durendal pour qu'elle ne tombe pas aux mains de l'ennemi. Mais frappant par dix fois un rocher celle-ci ne s'ébrèche pas.

- la vengeance de Charlemagne sur les Sarrasins et Ganelon : Charlemagne poursuit les assaillants et les tue. Marsile appelle en renfort l'émir de Babylone. Une bataille a lieu dans une plaine où Charlemagne est sauvé par saint Gabriel. De retour à Aix-la-Chapelle un combat avec jugement de Dieu fait condamner Ganelon attaché à quatre chevaux et écartelé. 

Et la réalité historique? 

Il se pourrait que cette bataille fut une très grosse défaite pour Charlemagne contre des "Gascons"! : malgré le silence voulu des clercs soixante ans après on connaissait encore le nom des chefs qui y avaient été tués. Selon une version, on était dans une période de crise dynastique qui enlevait le pouvoir aux Carolingiens en 987, après la mort de Louis V, pour le donner à Hugues Capet. On essaya avec cette Chanson de glorifier la Maison de Charlemagne. Une autre version fit jour avant la seconde croisade, vers 1146, pour servir les plans du prêcheur saint Bernard et la lutte contre les Sarrasins. Enfin, il existe une version anglo-normande vers 1158 pour appuyer la politique d'Henri Plantagenêt, comte d'Anjou, duc de Normandie et d'Aquitaine et depuis 1154 roi d'Angleterre, avec en ligne de mire le Royaume de France.

Alain RACINEUX, historien local :

     "Ce ne sont pas des Sarrasins mais des Vascons, alias les Basques, qui ont tué Roland pour venger le sac de Pampelune : selon la "Vita Karoli Magni", une oeuvre écrite entre les années 829 et 836 par Eginhard, moine et chroniqueur, les Vascons massacrèrent Roland et toute son armée au cours de la bataille de Roncevaux. Le roi Charles Ier, futur Charlemagne, conduisit effectivement ses troupes à Saragosse en Espagne à la demande du wali de la ville Soliman ibn al-Arabi. Mais ce dernier ayant été remplacé entre-temps, Charles trouva les portes de la ville closes. Pour compenser cet échec l'aile occidentale de l'armée franque, conduite par le roi, s'en prit à la ville navarraise de Pampelune qui avait pourtant résisté à la pression musulmane, mais dont les Francs rasèrent les défenses. Le 15 août 778, en représailles, des Vascons rattrapèrent et anéantirent l'arrière-garde de l'armée du roi Charles, lourdement armée, alors qu'elle progressait dans une vallée encaissée depuis Roncevaux. Roland et quelques autres nobles y trouvèrent la mort, ainsi que le comte du palais Anselme le preux. Et les Vascons reprirent le butin de Pampelune.

     De nos jours en Bretagne Armoricaine nous pouvons nous promener dans la forêt de "BROCéLIANDE" entre Ploërmel et Rennes : le site www.broceliande-vacances.com  peut vous aider à y passer un bon séjour.

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    Avant l'expédition de Roncevaux en 778, Roland fut Préfet de la "Marche de Bretagne". La péninsule armoricaine, occupée par des Bretons très guerriers, se devait d'être surveillée par un homme de confiance.   

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1 - La révolte  des Bonnets Rouges et du papier timbré (1675) et les "Bonnets rouges" 2016

2 - "Quatre-vingt-Treize" de Victor Hugo

 3- "Les “Chouans” et “Béatrix” de Balzac et la “Chouannerie en Acigné”

  

1 - La révolte des Bonnets Rouges et du papier timbré - l'affaire La Chalotais

      Louis XIV (1638 - 1715) mène "grand train de vie". Le règne du "Roi Soleil, qui se situait au-dessus des hommes", le mal nommé "Soleil" car il fut des plus froids. Ce "petit âge glaciaire" fut très dommageable à l'agriculture et aux paysans....

     Nota : on parle de "minimum de Maunder" pour situer l'activité du soleil entre 1645 et 1715.  Le soleil croit son activité durant environ cinq ans puis décroît sur la même durée. Chaque cycle est une inversion des pôles magnétiques. La quantité de carbone 14 dans le bois permet de connaitre l'activité solaire.On l'aura ainsi observée en remontant à l'année 900 de notre ère. Depuis 1755 on relève le nombre de taches solaires depuis l'observatoire de Paris, ce qui nous permettait de connaitre l'activité solaire et de savoir qu'un cycle solaire dure environ 11 ans. En 2020 nous entamons un 25ème cycle qui devrait être plus faible mais aussi lié désormais aux facteurs des interactions anthropiques, liées à nos activités humaines (déforestation, extractions, industries et activités polluantes...)

     S'ajoutant les nombreuses guerres avec ses voisins européens - en 1675 avec la Hollande - les caisses de l'état sont vides. Son ministre Colbert décide de taxer le peuple avec un impôt sur la vaisselle d'étain, sur le tabac et sur le papier timbré.

     Depuis le traité de 1532 du Plessis-Macé on a attribué à la province Bretagne une autonomie fiscale. Aussi ces trois impôts sont mal-venus. Du 3 au 17 avril, le peuple de Rennes s'enflamme et détruit les locaux délivrant le "papier timbré" le 18 avril 1675. On se gausse de cette révolte en parlant alors de "révolte des ivrognes".L'ordre public répondra assez mollement. Ce sera ensuite le tour de Nantes avec l'échange d'un évêque contre une émeutière. Puis d'autres villes seront concernées : Dinan, Guingamp, Lamballe, Montfort, Pontivy, Questembert, Saint-Malo,Vannes. C'est une action qui s'exerce contre une multiplication des impôts à verser à des privilégiés. L'impôt sur le papier existait déjà. Mais l'évocation de l'instauration de la "Gabelle"- impôt sur le sel dont la Bretagne est exemptée car productrice - au Pardon de Saint Urlo fin juillet dans le Morbihan et d'une taxe sur le TABAC enflamme la Bretagne.

     A Carhaix, un notaire - Sébastien Le Balp -, dirige la révolte envers les "maltôtiers" mais également les châteaux des nobles. Une armée de "BONNETS ROUGES" se lève également dans le Léon, Tréguier, Saint-Brieuc. En Cornouaille, les révoltés portent des "BONNETS BLEUS" .On visite les châteaux des seigneurs, les Jésuites, les recteurs et les gens du fisc.Réunis à la chapelle de la "Tréminou", près de Pont-L'Abbé, les paysans inventent un nouveau "CODE" appelé "Quoyie", "breton", "paysan" ou "pessavate" : abolition des corvées, des dîmes, de la banalité du moulin, et réduction des droits sur le vin reçu de l'étranger; l'argent des "fouages anciens" devra être employé à acheter du tabac, distribué avec le pain bénit aux messes paroissiales; le droit de chasse sera réglementé (à interdire du 1er mars au 15 septembre), les colombiers seront rasés, pleine liberté sera rétablie pour tous de tirer sur les pigeons; recteurs et curés seront salariés par leurs paroissiens; la justice ne sera plus rendue par le seigneur mais par un juge salarié; les mariages seront permis entre noblesse et paysannerie, les successions seront partagées équitablement.

     Mais l'élan sera stoppé par une terrible répression. Sébastien Le Balp est tué par le marquis de Montgaillard le 3 septembre. On ira jusqu'à déterrer son corps, le rompre et l'exposer sur la roue. On assiste à de nombreuses exécutions et à des peines de galères. Le gouverneur de Bretagne fait pendre quatorze paysans au même arbre à Combrit : "les arbres commencent à pencher sur les grands chemins sous le poids qu'on leur donne". 

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    NOTA : "Le bonnet phrygien de notre Marianne républicaine n'est autre que celui des bonnets rouges de Sébastien Le Balp. La quasi-totalité des députés bretons, convoqués aux Etats généraux, étaient francs-maçons. Ce club des députés bretons, qui avaient tous leur bonnet rouge dans la poche, a joué un rôle majeur dans l'abolition des privilèges, dans la nuit du 3 août 1789. D'autre part, il existait en Bretagne des liens très forts entre jésuites et francs-maçons qui s'intéressaient aux questions sociétales, faisaient de l'entrisme, de la diplomatie, s'opposaient à Paris ou à Rome. La Parfaite union à Rennes, ou les Amis de Sully à Brest, font partie des loges les plus anciennes de France. C'est aussi en Bretagne que sont nées la franc-maçonnerie forestière et celle du bois, très liées au néo-druidisme." d'après "Le Compas et l'hermine" d'Arnaud d'Apremont 2019 - et Mémoire DEC Diplôme d'Etudes Celtiques UHB Rennes 2

     On peut ajouter que ce bonnet phrygien de Marianne était celui des "affranchis de la Rome antique" (esclave libéré par son maître). Cette période 509 à 27 avant J.C. était celle d'une République qui reposait toutefois sur l'esclavage! Saint-Malo aura connut sa "République" de 1590 à 1594 et un témoignage toujours d'actualité rappelé sur sa devise "Ni français, Ni breton, Malouin suis" avec son drapeau qui flotte au-dessus du français et du breton... On aura eu une première République réunissant la France de l'époque en 1792 jusqu'en 1799 puis une seconde de 1848 à 1852 avec alors le modèle de la Constitution américaine de 1787. La troisième République durera de 1870 à 1940 et la quatrième de 1946 à 1958. Depuis nous sommes en cinquième République. Avant sa période de la "Terreur" la Révolution française s'est proclamée "pays des droits de l'homme" en 1789. Ces textes sont la base de la "Déclaration universelle des droits de l'homme" depuis 1948.

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     A Rennes, le Duc de Chaulnes parle de 15 000 coupables à punir. Mme de Sévigné rapporte que le "violoneux Daligault, qui avait commencé la danse et la pillerie, est rompu vif sur la place du Palais avant que son corps ne soit coupé en quatre morceaux exposés à un poteau à l'entrée des quatre principaux faubourgs." Un dénommé Jean Rivé est décapité place Sainte-Anne, sa tête ensuite exposée sur une pique au pont Saint-Martin avec un panneau :"chef des séditieux". Louis XIV punit la ville de Rennes avec la présence de 4 000 hommes. Le parlement de Bretagne,suspecté d'intelligence avec l'insurrection, sera envoyé en exil à Vannes, ce qui fera baisser Rennes de 2 à 3 000 personnes d'une population évaluée  entre 45 et 50 000 habitants.

      Face à la cathédrale de Vannes, l'ancien marché couvert, avec à l'étage le palais de justice ducal, a eu plusieurs vies. C'est là que se sont tenues pendant quinze années les sessions du parlement de Bretagne après cet exil de 1675. Après la Révolution, il est devenu un théâtre avant d'accueillir le musée des beaux-arts de la ville : la "COHUE", mot français isssu du breton "coc'hui" qui veut dire "halle". De nos jours le samedi est jour de marché.

     Cette répression violente, avec 6 000 hommes, aura des conséquences dans la mémoire des paysans bretons tout au long du XVIII ème siècle et expliquera une partie des exactions à la Révolution Française.

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     "Les gars de Plouyé" : une révolte avait déjà eu lieu en 1490 dans le Poher, partie de Plouyé. La misère sévissait et des milliers de paysans s'étaient unis pour brûler les châteaux et se répartir les terres. Ils s'emparèrent de Quimper le 30 juillet et la pillèrent durant quatre jours. Mais la troupe arriva et massacra les paysans armés de fourches à Penhars le 4 août puis dans un champ à la Boexière près de Pont-L'Abbé que l'on appela "Prat mil goff" (le pré des mille ventres) et enfin à Châteauneuf-du-Faou.

       D'autres BONNETS VERTS, ROUGES, BRUNS ou GRIS : au bagne de Brest 1782/1783, les criminels condamnés à vie continueront à porter l'habillement et le BONNET ROUGE, ceux condamnés "à terme" porteront aussi l'habillement rouge mais le BONNET VERT; les faux-sauniers, contrebandiers, braconniers et autres de cette classe porteront l'habit vert et le BONNET ROUGE, ceux condamnés "à terme" auront l'habillement et le BONNET VERT, les déserteurs et autres condamnés à vie pour délits militaires continueront à porter l'habit et le BONNET BRUN, ceux condamnés "à terme" porteront aussi l'habit brun mais le BONNET GRIS.

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     O.F. 20/6/16 : "Bonnets rouges : le collectif mis en veille". Une manière pour le mouvement de prendre du recul par rapport à la politique et aux diverses campagnes qui se jouent actuellement, notamment celle de Christian Troadec, maire de Carhaix et candidat à la présidentielle. "Son aventure n'est pas celle des Bonnets rouges" précise Jean-Pierre Le Mat. Le choix a été fait à Huelgoat où une cinquantaine de membres se sont réunis. "en 2013, l'écotaxe était notre objectif. Elle a été abandonnée. Désormais le mouvement peut être mis en veille." un réseau qui pourra aussi se réveiller "si une menace pèse à nouveau sur le territoire breton".

     O.F. 20/12/2019 : "Un café-librairie, rue de Dinan à Rennes, "Le Papier timbré" : lieu de réunion de militants d'extrême-gauche - selon un parti d'extrême droite - qui abrite une maison d'édition bretonne recevant une aide financière de la Région.Le "Papier timbré" est animé par Jean-Marie Goater, maire-adjoint à la mairie de Rennes. Jean-Michel Le Boulanger, chargé de la Culture à la Région, rappelle que la "liberté d'expression" est un droit constitutionnel ...

     O.F. 2/3/2021 : en plein Covid, sous couvre-feu, "un bar vandalisé par un groupe d'extrême droite" : Des vitres ont été brisées, les murs du bar "Le Papier timbré" tagués avec des croix gammées et le nom d'un groupuscule. Ce bar récemment racheté avait ouvert le 9 octobre pour fermer le 23 octobre, en raison du Covid. Le nouveau patron du bistrot garde des liens avec les clients via la page Facebook : "Les murs multiséculaires du bar ont de nouveau été témoins et victimes de la bêtise et de la haine que l'on espérait reléguées dans les livres d'histoire! La diversité culturelle, sociale, qui fait tant peur aux étriqués de la pensée, continuera à s'exprimer et à se vivre dans la chaleur d'un spectacle, la fraîcheur d'une bonne bière!"  Fabienne Richard - Et en 1675, les manifestants étaient-ils d'extrême gauche ou droite?

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     L'affaire "La Chalotais" : en 1762 débute un conflit lancé par la politique des travaux du duc d'Aiguillon, récemment nommé commandant en chef de la Bretagne par le roi, et le procureur Louis René de Caradeuc de La Chalotais, soutenu par les députés bretons qui votent également la dissolution de l'ordre des Jésuites en Bretagne. Depuis sa création par Ignace de Loyola en 1534, la "Compagnie de Jésus" enseigne dans des collèges aux garçons des classes aisées dirigeantes avec pour principe "pauvreté, chasteté et obéissance (au pape). Les Jésuites sont aussi des missionnaires actifs en Europe et outre-mer. Leur obéissance totale au pape, souverain italien puissant, les nomment alors "agents de l'étranger", d'où ces rejets au XVIIIème siècle. La papauté supprimera l'ordre de 1773 à 1814...On peut rétrospectivement penser aux Jésuites avec l'Ordre des "Templiers" qui tenait directement ses ordres du Pape. A la démission du parlement, la réplique d'emprisonnement de La Chalotais va lui amener une immense popularité qu'il goûtera dans son château du "Boschet" à Bourg-des-Comptes, son "Petit Versailles Breton"... www.chateauduboschet.fr   Il faudra cependant 6 années pour que le duc d'Aiguillon quitte ses fonctions et que le parlement soit rétabli.


      Le vrai faux témoignage de la Marquise de Kerabatz (qui tacle la Marquise de Sévigné) : elle a "tout vu, tout entendu" depuis sa fenêtre avec ce grand incendie de 1720 dans la ville de Rennes. "Elevée à la cour, je me flatte d'être bonne bretonne. Quand j'ai vu dans les lucarnes magiques, que ce petit menuisier de La Cavée, dont on dit qu'il a mis le feu à Rennes, et certains gros bourgeois deviser à qui mieux mieux sur le Grand feu, j'ai cru qu'il estoit de mon devoir de dame de condition de dire la vérité. 

     Tout ce que je raconte est vray, mais je dois confesser que j'ay hérité de ma bonne tante de Sévigné de dire un peu de faux pour faire sentir le vray"....!!!

 

     2 - "Quatre-Vingt-Treize" de Victor HUGO (qui aurait pu s'appeler "Féodalité et Révolution")

     Le père de Victor HUGO est d'origine lorraine, fils de menuisier. Entré dans l'armée en 1788 ,à 15 ans, il est "républicain et quelque peu soudard". Le capitaine HUGO participe en 1793 à la guerre de Vendée ce qui explique aussi les "réalités du terrain" et l'orientation des écritures à venir du fils. Sophie TREBUCHET, sa mère nantaise, surnommée "la vendéenne"car passée du républicanisme au royalisme, était la fille d'un capitaine de navire, de nature plus réservée.... Conflits en tous genres! Sophie s'était réfugiée en 1794 avec son grand-père chez sa tante alors que la Révolution fait rage dans sa ville natale. C'est ainsi qu'elle rencontre, à Chateaubriant (44), son futur mari Joseph HUGO. Ils auront trois fils Abel, Eugène et le benjamin Victor.

    Victor HUGO à 14 ans : "Je veux être Chateaubriand ou rien". Brillant latiniste il est récompensé pour deux "Odes" à Toulouse à 16 ans. A 19 ans il fait connaissance du rennais LAMENNAIS qu'il admire comme étant "une dure, sagace et vaillante tête bretonne". A 27 ans il écrit contre la peine de mort. A 31 ans il rencontre la comédienne Juliette DROUET qui sera la vraie "femme de sa vie". Il viendra en Bretagne à 32 ans et à 34 ans. Député, il sera exilé politique en 1852 en Belgique puis Jersey et Guernesey (ou il plante symboliquement en 1870 un "chêne des Etats-unis d'Europe").

     Cet ouvrage fut écrit par Victor HUGO à 70 ans! " Je commence ce livre aujourd'hui 16 décembre 1872. Je suis à Hauteville-House (Guernesey)." "10 mai : une épine m'est entrée dans le talon. Je suis forcé de continuer assis ce livre...Aujourd'hui 19 mai mon pied est guéri; je me remets à écrire debout." Il finira l'ouvrage le 9 juin 1873 à Guernesey. Il sera publié en 1874. On dira que "Quatre-Vingt-Treize" est le "Guernica" de la Révolution française."

     Michel MOHRT, dans une préface, avertit le lecteur : "Le soulèvement de l'Ouest contre la république continuait, par certains de ses aspects, d'autres soulèvements du temps de la monarchie. L'un des premiers chefs  de la révolte, le marquis de la Rouërie, ne manquera jamais de préciser qu'il avait pris les armes pour "défendre les libertés bretonnes".  Il s'employa à obtenir des princes la confirmation des privilèges et des franchises de la province. Les libertés des pays de droit coutumier qui, sous l'Ancien Régime, avaient un Parlement qui votait l'impôt, ne pouvaient subsister sous le règne de la liberté républicaine, déesse aveugle et tyrannique. Le paysan breton préfèrera se battre chez lui pour des biens tangibles que se battre aux frontières pour une abstraction."

     En bon républicain Victor Hugo aura écrit que "le Breton parle une langue morte, ce qui est faire habiter une tombe à sa pensée"; moins méprisant que Gustave Flaubert qui n'y compris que "de rauques syllabes celtiques mêlées au grognement des animaux et au claquement des charrettes" "Par les champs et les grèves".

     Chouans et Vendéens : La demande de levée de 300 000 hommes en 1793 pour combattre aux frontières de l'est provoquera à l'Ouest de la France une insurrection. Au sud de la Loire les Vendéens disposent d'une vraie armée bien organisée de près de 50 000 hommes. Quant aux "Chouans" répartis au nord du fleuve il s'agissait surtout de bandes indépendantes. Le mot "chouan" provient du surnom donné au contrebandier de sel entre Bretagne et Maine (Mayenne) - Jean Cottereau - qui utilisait le hululement du chat-huant comme cri de ralliement pendant ses expéditions nocturnes. Les deux mouvements se déclarent royalistes et catholiques, se démarquant des "Bleus" républicains. Victor Hugo et d'autres écrivains du XIXème siècle désigneront ces mouvements d'une manière globale avec le mot "Vendée". Ne pas confondre "Vendéens et Chouans"! Les gens de Vendée se sont surtout soulevés pour défendre leur foi et leurs "bons prêtres". Parfois cependant pour leurs seigneurs royalistes... Les "Chouans" royalistes arborent des étendards vendéens "Pour Dieu et le roi". A leurs procès, au pied de la guillotine, les minutes le confirment. La "Chouannerie" est un mouvement uniquement royaliste et plus tardif qui se développe au nord de la Loire, en Bretagne, Mayenne, Sarthe et Normandie.

     EXTRAITS de "QUATRE-VINGT-TREIZE" :

      "Dans les derniers jours de mai 1793, un des bataillons parisiens amenés en Bretagne par Santerre fouillait le redoutable bois de la Saudraie en Astillé. On n'était plus que trois cents, car le bataillon était décimé par cette rude guerre. C'était l'époque où, après Argonne, Jemmapes et Valmy, du premier bataillon de Paris, qui était de six cents volontaires, il restait vingt-sept hommes, du deuxième trente-trois, et du troisième cinquante-sept. Temps des luttes épiques.Le 1er mai, Santerre était prêt à faire partir douze mille soldats, trente pièces de campagne et un bataillon de canonniers....Le 28 avril, la commune de Paris avait donné aux volontaires de Santerre cette consigne : "Point de grâce, point de quartier. A la fin de mai, sur les douze mille partis de Paris, huit mille étaient morts....."

        "Le bois de la Saudraie était tragique. C'était dans ce taillis que, dès le mois de novembre 1792 la guerre civile avait commencé ses crimes...." -"Es-tu des bleus? Es-tu des blancs? Avec qui es-tu? - Je suis avec mes enfants.- Dis-nous ce que c'était tes parents? - C'étaient des laboureurs. Mon père était infirme et ne pouvait travailler à cause qu'il avait reçu des coups de bâton que le seigneur, son seigneur, notre seigneur, lui avait fait donner, ce qui était une bonté, parce que mon père avait pris un lapin, pour le fait de quoi on était jugé à mort; mais le seigneur avait fait grâce et avait dit : Donnez-lui seulement cent coups de bâton; et mon père était demeuré estropié. - Et puis? - Mon grand-père était huguenot. Monsieur le curé l'a fait envoyer aux galères. J'étais toute petite. - Et puis? - Le père de mon mari était un faux-saulnier. Le roi l'a fait pendre. - Et ton mari, qu'est-ce qu'il fait? - Ces jours-ci, il se battait - Pour qui? - Pour le roi - et puis? - Dame, pour son seigneur - Et puis? - Dame, pour monsieur le curé - Sacré mille noms de noms de brutes! cria un grenadier.... - Et ton mari, madame? que fait-il? Qu'est-ce qu'il est devenu? - Il est devenu rien, puisqu'on l'a tué du côté d'Ernée... - La nuit passée, nous avons couché dans une émousse - Alors, dit le sergent, couché debout. - Camarades, un gros vieux arbre creux et mort où un homme peut se fourrer comme dans une gaine, ces sauvages appellent ça une émousse... - Coucher dans le creux d'un arbre! dit la vivandière, et avec trois enfants! Le sergent se redressa et l'on vit une grosse larme rouler sur sa joue "Camarades, de tout ça je conclus que le bataillon va devenir père. Nous adoptons ces trois enfants-là. - Vive la république! crièrent les grenadiers.

     La corvette "CLAYMORE" : "... Au moment où il était monté sur la corvette, son manteau de mer s'était entr'ouvert, et l'on avait pu le voir vêtu, sous ce manteau, de larges braies dites "bragou-bras", de bottes-jambières, et d'une veste en peau de chèvre montrant en dessus le cuir passementé de soie, et en dessous le poil hérissé et sauvage, costume complet du paysan breton. Ces anciennes vestes bretonnes étaient à deux fins, servaient aux jours de fête comme aux jours de travail, et se retournaient, offrant à volonté le côté velu ou le côté brodé; peaux de bête toute la semaine, habits de gala le dimanche.... Ce vieillard avait sur la tête le chapeau rond du temps, à haute forme et à large bord, qui, rabattu, à l'aspect campagnard, et, relevé d'un côté par une ganse à cocarde, a l'aspect militaire. Il portait ce chapeau ras baissé à la paysanne, sans ganse ni cocarde...", "... C'est un prince. - Presque                - Gentilhomme en France, mais prince en Bretagne - Comme les La Trémoille, comme les Rohan - Dont il est l'allié...", "... Il est temps qu'il y ait un chef. Je suis de l'avis de Tinténiac : un chef, et de la poudre! Dans cette diable de Vendée il faut un général qui soit en même temps un procureur; il faut ennuyer l'ennemi, lui disputer le moulin, le buisson, le fossé, le caillou, tirer parti de tout, veiller à tout, massacrer beaucoup, faire des exemples, n'avoir ni sommeil ni pitié. A cette heure, dans cette armée de paysans, il y a des héros, il n'y a pas de capitaine. D'Elbée est nul, Lescure est malade, Bonchamps fait grâce; il est bon, c'est bête;La Rochejaquelein est un magnifique sous-lieutenant. Cathelineau est un charretier naïf, Stofflet est un garde-chasse rusé, Charrette est horrible..." "Quel vis-à-vis que cette guerre de Vendée : d'un côté Santerre le brasseur, de l'autre Gaston le merlan! - Mon cher La Vieuville, je fais un certain cas de ce Gaston. Il n'a point mal agi dans mon commandement de Guémenée. Il a gentiment arquebusé trois cents bleus après leur avoir fait creuser leur fosse..." "... Ah! cette république! Que de dégâts pour peu de choses! Quand on pense que cette révolution est venue pour un déficit de quelques millions!" "...Ceci est la guerre sans miséricorde. L'heure est aux sanguinaires. Les régicides ont coupé la tête de Louis XVI, nous arracherons les quatre membres aux régicides. Dans l'Anjou et le Haut-Poitou les chefs font les magnanimes; on patauge dans la générosité; rien ne va. Dans le Marais et dans le pays de Retz, les chefs sont atroces, tout marche. C'est parce que Charette est féroce qu'il tient tête à Parrein. Hyène contre hyène..."

     "... Quant à la "croisière", c'était cette escadre de Cancale, devenue depuis célèbre sous le commandement de ce capitaine Duchesne... La situation était critique. La corvette avait, sans le savoir, pendant le déchaînement de la caronade, dévié et marché plutôt vers Granville que vers Saint-Malo. Quand même elle eût pu naviguer et faire voile, les Minquiers lui barraient le retour vers Jersey et la croisière lui barrait l'arrivée en France...." "... Chevalier, lui cria le capitaine, nous sommes en présence de trois cent quatre-vingts pièces de canon. - Combien décidément avons-nous de pièces en état de faire feu? - Neuf... Les huit navires silencieux et noirs semblaient immobiles, mais ils grandissaient." La "Claymore", enfermée dans ce demi-cercle, et d'ailleurs garrottée par ses propres ancres, était adossée à l'écueil, c'est-à-dire au naufrage. C'était comme une meute autour d'un sanglier..." "... Quelques instants après, un de ces petits canots qu'on appelle youyous s'éloignait du navire. Dans ce canot, il y avait deux hommes, le vieux passager qui était à l'arrière, et le matelot de "bonne volonté". La nuit était encore très obscure...""La "Claymore" se mit à cracher de la flamme sur les huit navires. En même temps toute l'escadre faisait feu de toutes ses batteries. L'horizon s'incendia. On eût dit un volcan qui sort de la mer..." "-Monseigneur, dit Halmado, nous sommes ici à l'embouchure du Couesnon. - C'est bien. J'irai du côté de Fougères, toi du côté de Bazouges. Garde ton sac qui te donne l'air d'un paysan.Emjambe les échaliers pour aller à travers champs. N'entre pas dans Pontorson. Tu iras au bois de Saint-Aubin. Tu feras l'appel. Sais-tu faire l'appel? Halmado enfla ses joues, se tourna du côté de la mer, et l'on entendit le hou-hou de la chouette. - Voici l'ordre : Insurgez-vous. Pas de quartier! Tu iras ensuite au bois d'Astillé. Tu iras ensuite au bois de Couesbon qui est à une lieue de Ploërmel... Tu iras ensuite à Saint-Ouen-Les-Toits, et tu parleras à Jean Chouan, qui est à mes yeux le vrai chef... Je n'écris rien parce qu'il ne faut rien écrire. La Rouarie a écrit une liste; cela a tout perdu...        Tu verras M. Dubois-Guy à Saint-Brice-en-Cogle.... Tu te déguiseras. C'est facile. Ces républicains sont si bêtes, qu'avec un habit bleu, un chapeau à trois cornes et une cocarde tricolore on passe partout. Il n'y a plus de régiments, il n'y a plus d'uniformes, les corps n'ont pas de numéros; Tu iras à saint-M'Hervé. Tu y verras Gaulier, dit Grand-Pierre. Tu iras au cantonnement de Parné où sont les hommes aux visages noircis. Ils mettent du gravier dans leurs fusils et double charge de poudre pour faire plus de bruit, ils font bien; mais surtout dis-leur de tuer, de tuer, de tuer...."

     "...Il est grand temps de faire les deux guerres ensemble; la grande et la petite. La grande fait plus de tapage, la petite plus de besogne. La Vendée est bonne, la Chouannerie est pire; et en guerre civile, c'est la pire qui est la meilleure. La bonté d'une guerre se juge à la quantité de mal qu'elle fait.... J'aime mieux la guerre de forêts que la guerre des plaines; je ne tiens pas à aligner cent mille paysans sous la mitraille des soldats bleus et sous l'artillerie de monsieur Carnot; avant un mois je veux avoir cinq cent mille tueurs embusqués dans les bois. L'armée républicaine est mon gibier. Braconner, c'est guerroyer. Je suis le stratège des broussailles. Pas de quartiers et des embuscades partout! Tu ajouteras que les Anglais sont avec nous. Prenons la république entre deux feux. L'Europe nous aide. Faisons lui la guerre des paroisses..."

     "Le vieillard avait ce clocher de Cormeray devant lui, à une distance d'environ deux lieues; il regarda à sa droite le clocher de Baguer-Pican, également droit sur l'horizon.... La cage de tous ces clochers était alternativement noire et blanche. Cela signifiat que toutes les cloches étaient en branle.On sonnait le tocsin, on le sonnait frénétiquement... Certainement quelqu'un était traqué. Ce ne pouvait être que lui... Cette affiche était placardée depuis peu de temps, car elle était encore humide. Il lut ceci : République Française, une et indivisible. - Le ci-devant marquis de Lantenac, vicomte de Fontenay, soi-disant prince breton, furtivement débarqué sur la côte de Granville, est mis hors la loi. Sa tête est mise à prix.... " "...Le marquis regarda le mendiant. - Ecoutez, monsieur le marquis, ce n'est pas beau chez moi, mais c'est sûr. A la métairie vous seriez fusillé. - je suis un pauvre - Ni royaliste, ni républicain? - je ne crois pas - Etes-vous pour ou contre le roi? - Je n'ai pas le temps de ça" "Il y a dans un coin une cruche d'eau, une galette de sarrasin et des châtaignes.." " au bout d'un quart de lieue je suis las. Nous sommes pourtant du même âge; mais les riches, ça a sur nous un avantage, c'est que ça mange tous les jours. Manger conserve." "Est-ce que je vous avais rencontré autrefois? - Souvent, puisque je suis votre mendiant. J'étais le pauvre du bas du chemin de votre château. Vous m'avez dans l'occasion fait l'aumône; mais celui qui donne ne regarde pas, celui qui reçoit examine et observe.... On est des fois des vingt-quatre heures sans manger. Quelques fois un sou, c'est la vie. Je vous dois la vie, je vous la rends..."

     "Les bleus, et cela leur était ordonné par un décret révolutionnaire, punissaient très souvent, en y mettant le feu, les fermes et les villages réfractaires; on brûlait, pour l'exemple, toute métairie et tout hameau qui n'avaient point fait les abattis d'arbres prescrits par la loi et qui n'avaient pas ouvert et taillé dans les fourrés des passages pour la cavalerie républicaine. On avait notamment exécuté ainsi tout récemment  dans la paroisse de Bourgon près d'Ernée..." "Cette avant-garde ne faisait-elle pas partie d'une de ces colonnes d'expédition surnommées "colonnes infernales"? " ... Ce fourré, qu'on appelait le bocage d'Herbe-en-Pail, mais qui avait la proportion d'un bois, s'étendait juqu'à la métairie, et cachait, comme tous les halliers bretons, un réseau de ravins, de sentiers et de chemins creux, labyrinthes où les armées républicaines se perdaient..."

     "Ecartant de ses deux mains sa veste de peau de chèvre, il montra sa poitrine nue. Il baissa les yeux, cherchant du regard les fusils braqués, et se vit entouré d'hommes à genoux. Un immense cri s'éleva : "Vive Lantenac! Vive monseigneur! Vive le général! Ce qu'il avait autour de lui, c'était une bande vendéenne. Cette cohue était armée de fusils, de sabres, de faulx, de pioches, de bâtons; tous avaient de grands feutres ou des bonnets bruns, avec des cocardes blanches, une profusion de rosaires et d'amulettes, de larges culottes ouvertes au genou, des casaques de poil, des guêtres en cuir, le jarret nu, les cheveux longs, quelques-uns l'air féroce, tous l'oeil naïf."

        "Le marquis se tourna vers Gavard : -Combien donc êtes-vous? - Sept mille; l'affiche de la république, en révélant votre présence a insurgé le pays pour le roi. Nous avions en outre été avertis sous main par le maire de Granville qui est un homme à nous....  - Et vous êtes sept mille?                - Aujourd'hui. Nous serons quinze mille demain.C'est le rendement du pays. Quand M. Henri de la Rochejaquelein est parti pour l'armée catholique, on a sonné le tocsin, et en une nuit six paroisses lui ont amené dix mille hommes. - Quel sera votre quartier général, monseigneur? - D'abord la forêt de Fougères - C'est une de vos sept forêts, monsieur le marquis....       -Ne m'avez-vous pas dit que les gens d'Herbe-en-Pail avaient bien reçu les bleus? Avez-vous brûlé le hameau? - Non -Brûlez-le. - Les bleus ont essayé de se défendre; mais ils étaient cent cinquante et nous étions sept mille.   - Que faut-il faire des prisonniers? - Fusillez-les"

     "Il y a quelque chose de plus poignant à voir brûler qu'un palais, c'est une chaumière. Une chaumière en feu est lamentable. La dévastation s'abattant sur la misère, le vautour s'acharnant sur le ver de terre, il y a là on ne sait quel contre-sens qui serre le coeur.."

   A PARIS :   "Les expédients réussissaient à la révolution; elle soulevait cette vaste détresse avec deux moyens périlleux, l'assignat et le maximum; l'assignat était le levier, le maximum était le point d'appui. Cet empirisme sauva la France. L'ennemi, aussi bien l'ennemi de Coblentz que l'ennemi de Londres, agiotait sur l'assignat.." "Aucune défaillance dans ce peuple. La sombre joie d'en avoir fini avec les trônes. Les volontaires affluaient, offrant leurs poitrines. Chaque rue donnait un bataillon. Les drapeaux des districts allaient et venaient, chacun avec sa devise : "Nul ne nous fera la barbe; Plus de noblesse que dans le coeur". Les rues de Paris ont eu deux aspects révolutionnaires très distincts, avant et après le 9 thermidor; le Paris de Saint-Just fit place au Paris de Tallien. Un accès de folie publique, cela se voit. Cela s'était déjà vu quatre-vingts ans auparavant. On sort de Louis XIV comme on sort de Robespierre, avec un grand besoin de respirer; de là la Régence qui ouvre le siècle et le Directoire qui le termine.Deux saturnales après deux terrorismes. Après le 9 thermidor, Paris fut gai, d'une gaieté égarée. Une joie malsaine déborda. A la frénésie de mourir succéda la frénésie de vivre, et la grandeur s'éclipsa.C'est ainsi que Paris va et vient; il est l'énorme pendule de la civilisation. Après 93, la Révolution traversa une occultation singulière, le siècle sembla oublier de finir ce qu'il avait commencé...la tragédie disparut dans la parodie, et au fond de l'horizon une fumée de carnaval effaça vaguement Méduse..."

     "93 est la guerre de l'Europe contre la France et de la France contre Paris.Et qu'est-ce que la Révolution? C'est la victoire de la France sur l'Europe et de Paris sur la France.

     Le Cabaret de la rue du paon : "Robespierre posa la main sur les papiers étalés devant lui : Danton, écoutez, la guerre étrangère n'est rien, la guerre civile est tout.... La guerre de forêt s'organise sur une vaste échelle. En même temps une descente anglaise se prépare; Vendéens et Anglais, c'est Bretagne avec Bretagne. Les hurons du Finistère parlent la même langue que les topinambous du Cornouailles. J'ai mis sous vos yeux une lettre interceptée de Puisaye où il est dit que "vingt mille habits rouges distribués aux insurgés en feront lever cent mille". Quand l'insurrection paysanne sera complète, la descente anglaise se fera. Les Anglais ont le choix du point de descente, de Cancale à Paimpol. Vraig préfèrerait la baie de St Brieuc, Cornwallis la baie de St Cast. C'est un détail. La rive gauche de la Loire est gardée par l'armée vendéenne rebelle, et quant aux vingt-huit lieues à découvert entre Ancenis et Pontorson, quarante paroisses normandes ont promis leur concours. La descente se fera sur trois points : Plérin, Iffiniac et Pléneuf; de Plérin on ira à St Brieuc, et de Pléneuf à Lamballe; le deuxième jour on gagnera Dinan où il y a neuf cents prisonniers anglais, et l'on occupera en même temps St Jouan et St Méen; on y laissera de la cavalerie; le troisième jour, deux colonnes se dirigeront l'une de St Jouan sur Bédée, l'autre de Dinan sur Bécherel qui est une forteresse naturelle, et où l'on établira deux batteries; le quatrième jour, on est à Rennes. Rennes c'est la clef de la Bretagne. Qui a Rennes a tout. Rennes prise, Châteauneuf et St Malo tombent. Il y a à Rennes un million de cartouches et cinquante pièces d'artillerie de campagne...

- Qu'ils raffleraient, murmura Danton. Robespierre continua : - Je termine. De Rennes, trois colonnes se jetteront l'une sur Fougères, l'autre sur Vitré, l'autre sur Redon. Dans quinze jours on aura une armée de brigands de trois cent mille hommes, et toute la Bretagne sera au roi de France. - C'est-à-dire au roi d'Angleterre, dit Danton. - Non, au roi de France. Et Robespierre ajouta : - le roi de France est pire. Il faut quinze jours pour chasser l'étranger, et dix-huit cents ans pour éliminer la monarchie.

     " Si cela continue, et si nous mettons ordre, la révolution française se sera faite au profit de Potsdam; elle aura eu pour unique résultat d'agrandir le petit Etat de Frédéric II, et nous aurons tué le roi de France pour le roi de Prusse." Et Danton, terrible, éclata de rire. Le rire de Danton fit sourire Marat. - Vous avez chacun votre dada; vous Danton, la Prusse, vous, Robespierre, la Vendée. Vous ne voyez pas le vrai péril : les cafés et les tripots. Le danger n'est ni à Londres, comme le croit Robespierre, ni à Berlin, comme le croit Danton; il est à Paris. Il est dans l'absence d'unité. Le danger est dans la famine... Le danger est dans le papier-monnaie qu'on déprécie. Rue du Temple, un assignat de cent francs est tombé à terre, et un passant, un homme du peuple, a dit : il ne vaut pas la peine d'être ramassé.Il y a à Londres dix-huit fabriques de faux assignats...Les agioteurs et les accapareurs, voilà le danger... Ce qu'il faut c'est un dictateur... Au midi, le fédéralisme; à l'ouest, le royalisme; à Paris, le duel de la Convention et de la Commune; aux frontières, la reculade de Custine et la trahison de Dumouriez... Que nous faut-il? L'unité. Si nous perdons une heure, demain les Vendéens peuvent être à Orléans, et les Prussiens à Paris.

La VENDEE : Les sept Forêts-Noires de Bretagne étaient la forêt de Fougères qui barre la passage entre Dol et Avranches; la forêt de Princé qui a huit lieues de tour, la forêt de Paimpont, pleine de ravines et de ruisseaux, presque inaccessible du côté de Ba(e)ignon, avec une retraite facile sur Concornet (Concoret) qui était un bourg royaliste; la forêt de Rennes d'où l'on entendait le tocsin des paroisses républicaines, toujours nombreuses près des villes; la forêt de Machecoul qui avait Charette pour bête fauve; la forêt de la Garnache qui était aux La Trémoille, aux Gauvain et aux Rohan; la forêt de Brocéliande qui était aux fées. Un gentilhomme en Bretagne avait le titre de "seigneur des sept forêts". C'était le vicomte de Fontenay, prince breton."

     Si l'on veut comprendre la Vendée, qu'on se figure cet antagonisme : d'un côté la révolution française, de l'autre le paysan breton. En face de ces événements incomparables, accès de colère de la civilisation, excès du progrès furieux qu'on place ce sauvage grave et singulier, cet homme à l'oeil clair et aux cheveux longs, vivant de lait et de châtaignes, borné à son toit de chaume, à sa haie et à son fossé, distinguant chaque hameau du voisinage au son de la cloche, ne se servant de l'eau que pour boire, ayant sur le dos une veste de cuir avec des arabesques de soie, inculte et brodé, tatouant ses habits comme ses ancêtres les Celtes avaient tatoués leurs visages, respectant son maître dans son bourreau, parlant une langue morte, ce qui est faire habiter une tombe à sa pensée, vénérant sa charrue d'abord, sa grand-mère ensuite, croyant à la sainte Vierge et à la Dame blanche, dévôt à l'autel et aussi à la haute pierre mystérieuse debout au milieu de la lande, aimant ses rois, ses seigneurs, ses prêtres, ses poux; pensif, immobile souvent des heures entières sur la grande grève déserte, sombre écouteur de la mer. Et qu'on se demande si cet aveugle pouvait accepter cette clarté."

     Le paysan a deux points d'appui : le champ qui le nourrit, le bois qui le cache. Ce qu'étaient les forêts bretonnes, on se le figurerait difficilement; c'étaient des villes. Rien de plus sourd, de plus muet et de plus sauvage que ces inextricables enchevêtrements d'épines et de branchages... Des puits ronds et étroits, masqués au-dehors par des couvercles de pierre et de branches, verticaux, puis horizontaux, s'élargissant sous terre en entonnoir, et aboutissant à des chambres ténébreuses, voilà ce que Cambyse trouva en Egypte et ce que Westermann trouva en Bretagne; c'était dans le désert, ici c'était dans la forêt; dans les caves d'Egypte il y avait des morts, dans les caves de Bretagne il y avait des vivants.

     Cette vie souterraine était immémoriale en Bretagne. De tout temps l'homme y avait été en fuite devant l'homme. De là les tanières de reptiles creusées sous les arbres. Cela datait des druides, et quelques-unes de ces cryptes étaient aussi anciennes que les dolmens. Le peuple avait pris le parti de disparaitre. Tour à tour les troglodytes pour échapper aux Celtes, les Celtes pour échapper aux Romains, les Bretons pour échapper aux Normands, les huguenots pour échapper aux catholiques, les contrebandiers pour échapper aux gabelous,, s'étaient réfugiés d'abord dans les forêts, puis sous la terre. Ressource des bêtes. C'est là que la tyrannie réduit les nations."

     "L'épouvante, qui est une sorte de colère, était toute prête dans les âmes, et les tannières étaient toutes prêtes dans les bois, quand la république française éclata. La Bretagne se révolta, se trouvant opprimée par cette délivrance de force. Méprise habituelle aux esclaves."

     "Les tragiques forêts bretonnes reprirent leur vieux rôle et furent servantes et complices de cette rébellion, comme elles l'avaient été de toutes les autres. Le sous-sol de telle forêt était une sorte de madrépore percé et traversé en tous sens par une voirie inconnue de sapes, de cellules et de galeries. Chacune de ces cellules aveugles abritait cinq ou six hommes. La difficulté était d'y respirer. En Ille-et-Vilaine, dans la forêt du Pertre, asile du prince de Talmont, on n'entendait pas un souffle, on ne trouvait pas une trace humaine, et il y avait six mille hommes avec Focard; en Morbihan, dans la forêt de Meulac, on ne voyait personne, et il y avait huit mille hommes. Des bataillons invisibles guettaient. Ces armées ignorées serpentaient sous les armées républicaines, sortaient de terre tout à coup et y rentraient, bondissaient innombrables et s'évanouissaient, douées d'ubiquité et de dispertion, avalanche, puis poussière... des jaguars ayant des moeurs de taupes.

     Il n'y avait pas que les forêts, il y avait les bois. De même qu'au-dessous des cités il y a les villages, au-dessous des forêts il y avait les broussailles. Les forêts se reliaient entre elles par le dédale, partout épars des bois. Les anciens châteaux qui étaient des forteresses, les hameaux qui étaient des camps, les fermes qui étaient des enclos faits d'embûches et de pièges, les métairies ravinées de fossés et palissades d'arbres, étaient les mailles de ce filet où se prirent les armées républicaines. Cet ensemble était ce que l'on appelle le Bocage.

     Les hommes vivaient dans les huttes et les hommes dans les cryptes. Ils utilisaient pour cette guerre les galeries des fées et les vieilles sapes celtiques. On apportait à manger aux hommes enfouis... Habituellement le couvercle, fait de mousse et de branches, était si artistement façonné, qu'impossible à distinguer du dehors dans l'herbe, il était très facile à ouvrir et à fermer du dedans. Ils appelaient ce réduit la "loge". On était bien là, à cela près qu'on était sans jour, sans feu, sans pain et sans air. Les hommes dans ces caves de bêtes s'ennuyaient. La nuit, quelquefois, à tout risque, ils sortaient et s'en allaient danser sur la lande voisine. Ou bien ils priaient pour tuer le temps. "Tout le jour, dit Bourdoiseau, Jean Chouan nous faisait chapeletter.

     Quelques fois ils soulevaient le couvercle de leur fosse, et ils écoutaient si l'on se battait au loin; ils suivaient de l'oreille le combat. Le feu des républicains était régulier, le feu des royalistes était éparpillé; ceci les guidait. Si les feux de peloton cessaient subitement c'était signe que les royalistes avaient le dessus; si les feux saccadés continuaient et s'enfonçaient à l'horizon, c'était signe qu'ils avaient le dessus. Les blancs poursuivaient toujours; les bleus jamais, ayant le pays contre eux.... Des relais d'émissaires étaient établis de forêt à forêt, de village à village, de ferme à ferme, de chaumière à chaumière, de buisson à buisson. Hoche écrivait : "On croirait qu'ils ont des télégraphes."

     C'étaient des clans, comme en Ecosse. Chaque paroisse avait son capitaine. Cette guerre, mon père l'a faite, et j'en puis parler."

     Leur vie en guerre : "Beaucoup n'avaient que des piques. Les bonnes carabines de chasse abondaient. Pas plus adroits que les braconniers du Bocage et les contrebandiers du Loroux. C'étaient des combattants étranges, affreux et intrépides. Le décret de la levée des trois cent mille hommes avait fait sonner le tocsin dans six cents villages. Le pétillement de l'incendie éclata sur tous les points à la fois. Le Poitou et l'Anjou firent explosion le même jour. Disons qu'un premier grondement s'était fait entendre dès 1792, le 8 juillet, un mois avant le 10 août, sur la lande de Kerbader. Alain Redeler fut le précurseur de La Rochejaquelein et de Jean Chouan. Les royalistes forçaient, sous peine de mort, tous les hommes valides à marcher. Ils réquisitionnaient les attelages, les chariots, les vivres. Tout de suite, Sapinaud eut trois mille soldats, Cathelineau dix mille, Stofflet vingt mille et Charette fut maître de Noirmoutier....Pour soulever ces multitudes, peu de choses suffisait. On plaçait dans le tabernacle d'un curé assermenté, d'un prêtre jureur, comme ils disaient, un gros chat noir qui sautait brusquement dehors pendant la messe.  -C'est le diable! criaient les paysans, et tout un canton s'insurgeait. Un souffle de feu sortait des confessionnaux....

     Au plus fort des mêlées, quand les paysans attaquaient les carrés républicains, s'ils rencontraient sur le champ de combat une croix ou une chapelle, tous tombaient à genoux et disaient leur prière sous la mitraille; le rosaire fini, ceux qui restaient se relevaient et se ruaient sur l'ennemi. Quels géants, hélas! Ils chargeaient leurs fusils en courant; c'était leur talent. On leur faisait croire ce qu'on voulait; les prêtres leur montraient d'autres prêtres dont ils avaient rougi le cou avec une ficelle serrée, et leurs disaient : Ce sont des guillotinés ressucités...Ils appelaient les prêtres mariés républicains : des sans-calottes devenus sans-culottes. Ils commencèrent par avoir peur des canons, puis ils se jetèrent dessus avec des bâtons, et ils en prirent.....

     Les paysans s'attardaient à piller. Ces dévôts étaient des voleurs. les sauvages ont des vices. C'est par là que les prend plus tard la civilisation. Puysage dit : "J'ai préservé plusieurs fois le bourg de Plélan du pillage." Il se prive d'entrer à Montfort : "Je fis un circuit pour éviter le pillage des maisons des jacobins." Ils détroussèrent Cholet; ils mirent à sac Challans. Après avoir manqué Granville, ils pillèrent Villedieu. Ils appelaient "masse jacobine" ceux des campagnes qui s'étaient ralliés aux bleus, et ils les exterminaient plus que les autres. Ils aimaient le carnage comme les soldats, et le massacre comme des brigands. Fusiller les "patauds" c'est-à-dire les bourgeois, leur plaisait; ils appelaient cela se "décarêmer". A St Germain-sur-Ille, un de leurs capitaines, gentilhomme, tua d'un coup de fusil le procureur de la commune et lui prit sa montre. A Machecoul, ils mirent les républicains en coupe réglée, à trente par jour; cela dura cinq semaines; chaque chaîne de trente s'appelait le "chapelet". On adossait la chaîne à une fosse creusée et l'on fusillait; les fusillés tombaient dans la fosse parfois vivants; on les enterrait tout de même... Quand ils traversaient un bourg républicain, ils coupaient l'Arbre de la Liberté, le brûlaient et dansaient en rond autour du feu. Toutes leurs allures étaient nocturnes. Règle du Vendéen : être toujours inattendu. Ils faisaient quinze lieues en silence, sans courber une herbe sur leur passage. Marche de chats dans les ténèbres.... Pendant ce temps-là, Carrier était épouvantable. La terreur répliquait à la terreur.

     La Vendée insurgée ne peut être évaluée à moins de cinq cent mille hommes, femmes et enfants. La Lozère envoyait au Bocage trente mille hommes. Huit départements se coalisaient, cinq en Bretagne, trois en Normandie... La grande armée catholique a été un effort insensé; le désastre devait suivre; se figure-t-on une tempête paysanne attaquant Paris.... la cohue des sabots se ruant sur la légion des esprits? Le Mans et Savenay chatièrent cette folie. Passer la Loire était impossible à la Vendée. Elle pouvait tout, excepté cette enjambée.La guerre civile ne conquiert point. Passer le Rhin complète César et augmente Napoléon; passer la Loire tue La Rochejaquelein... La vraie Vendée, c'est la Vendée chez elle; là elle est plus qu'invulnérable, elle est insaisissable. Le vendéen chez lui est contrebandier, laboureur, soldat, pâtre, braconnier, franc-tireur, chevrier, sonneur de cloches, paysan, espion, assassin, sacristain, bête des bois. Pays, Patrie, ces deux mots résument toute la guerre de Vendée; querelle de l'idée locale contre l'idée universelle; paysans contre patriotes.

     La Bretagne est une vieille rebelle. Toutes les fois qu'elle s'était révoltée pendant deux mille ans, elle avait eu raison; la dernière fois, elle a eu tort... Contre le roi ou sous le roi, c'était toujours la même guerre que la Bretagne faisait, la guerre de l'esprit local contre l'esprit central... Toutes les fois que le centre, Paris, donne une impulsion, que cette impulsion vienne de la royauté ou de la république, qu'elle soit dans le sens du despotisme ou de la liberté, c'est une nouveauté, et la Bretagne se hérisse. Laissez-nous tranquilles. Qu'est-ce qu'on nous veut? Surdité terrible. L'insurrection vendéenne est un lugubre malentendu.

     "Voyez-vous citoyen, dans les villes et dans les gros bourgs, nous sommes pour la révolution, dans la campagne, ils sont contre; autant dire dans les villes on est français et dans les villages on est breton. C'est une guerre de bourgeois à paysans. Ils nous appellent patauds, nous les appelons rustauds. Les nobles et les prêtres sont avec eux."

     " Le but de Lantenac était d'insurger tout, d'appuyer la Basse-Bretagne sur la Basse-Normandie, d'ouvrir la porte à Pitt, et de donner un coup d'épaule à la grande armée vendéenne avec vingt mille Anglais et deux cent mille paysans. Gauvain a coupé court à ce plan. Il tient la côte... Le vieux, qui est habile, a fait une pointe; on apprend qu'il a marché sur Dol. S'il prend Dol, et s'il établit sur le Mont-Dol une batterie, car il a du canon, voilà un point de la côte où les Anglais peuvent aborder, et tout est perdu."

     DOL-de-BRETAGNE : Dol, "ville espagnole de France en Bretagne", ainsi le qualifient les cartulaires, n'est pas une ville, c'est une rue. Grande vieille rue gothique, toute bordée à droite et à gauche de maisons à piliers, points alignés, qui font des caps et des coudes dans la rue, d'ailleurs très large.Le reste de la ville n'est qu'un réseau de ruelles se rattachant à cette grande rue diamétrale et y aboutissant comme des ruisseaux à une rivière. La ville sans portes ni murailles, ouverte, dominée par le Mont-Dol, ne pourrait soutenir un siège; mais la rue en peut soutenir un. Autant de maisons, autant de forteresses. La vieille halle était à peu près au milieu de la rue.

     Un duel nocturne entre les blancs arrivés le matin et les bleus survenus le soir avait brusquement éclaté dans la ville. Les forces étaient inégales, les blancs étaient six mille, les bleus étaient quinze cents, mais il y avait égalité d'acharnement. Chose remarquable c'était les quinze cents qui avaient attaqué les six mille.

     D'un côté six mille paysans, avec des coeurs-de-Jésus sur leurs vestes de cuir, des rubans blancs à leurs chapeaux ronds, des devises chrétiennes sur leurs brassards, des chapelets à leurs ceinturons, ayant plus de fourches que de sabres et des carabines sans bayonettes, trainant des canons attelés de cordes, mal équipés, mal disciplinés, mal armés, mais frénétiques. De l'autre côté quinze cents soldats avec le tricorne à cocarde tricolore, l'habit à grandes basques et à grands revers, le briquet à poignée de cuivre et le fusil à longue bayonnette, dressés, alignés, dociles et farouches, sachant obéir, volontaires eux aussi, mais volontaires de la patrie, en haillons du reste, et sans souliers; pour la monarchie, des paysans paladins, pour la révolution des héros va-nu-pieds; et chacune des deux troupes ayant pour âme son chef; les royalistes un vieillard, les républicains un jeune homme. D'un côté Lantenac, de l'autre Gauvain. Lantenac était exaspéré contre Gauvain; d'abord parce que Gauvain le battait, ensuite parce que c'était son parent. Lantenac voulait la vraie guerre : se servir du paysan, mais l'appuyer sur le soldat. De là l'idée fixe : faire débarquer les Anglais... s'emparer d'un point du littoral, et le livrer à Pitt. C'est pourquoi, voyant Dol sans défense, il s'était jeté dessus, afin d'avoir par Dol le Mont-Dol, et par le Mont-Dol la côte. Le lien était bien choisi. Le canon du Mont-dol balayerait d'un côté le Fresnois, de l'autre Saint-Brelade (Broladre), tiendrait à distance la croisière de Cancale et ferait toute la plage libre à une descente, du Ra (o)z-sur-Couesnon à Saint-Mêloir-des-Ondes.

     Il entendait établir une forte batterie sur le Mont-Dol, d'après ce principe que mille coups tirés avec dix canons font plus de besogne que quinze cents coups tirés avec cinq canons. Le succès semblait certain. Lantenac alla en hâte avec quelques officiers d'artillerie reconnaître le Mont-Dol. Les paysans s'étaient dispersés dans la ville. Ils avaient garé leur artillerie avec les bagages sous les voûtes de la vieille halle, et, las, buvant, mangeant, "chapelletant", ils s'étaient couchés pêle-mêle en travers de la grande rue, plutôt encombrée que gardée.

     Tout à coup, à la lueur du crépuscule, ceux qui n'avaient pas encore fermé les yeux virent trois pièces de canons braquées à l'entrée de la grande rue. C'était Gauvain.Le premier moment fut terrible. On criait, on courait, beaucoup tombaient. Combat lugubre, mêlé de femmes et d'enfants. Les balles sifflantes rayaient l'obscurité. Tout était fumée et tumulte... Pourtant l'intrépide désordre des paysans finit par se mettre sur la défensive; ils se replièrent sous la halle, vaste redoute obscure, forêt de piliers de pierre. Là ils reprirent pied; tout ce qui ressemblait à un bois leur redonnait confiance. Ils avaient du canon, mais au grand étonnement de Gauvain, ils ne s'en servaient point; cela tenait à ce que les officiers d'artillerie étant allés avec le marquis reconnaître le Mont-Dol les gars ne savaient faire des couleuvrines et des bâtardes; mais ils criblaient de balles les bleus qui les canonnaient.Cela devenait grave pour Gauvain. Cette halle brusquement transformée en citadelle, c'était l'inattendu.

     Le marquis venait d'arriver dans la barricade par le côté opposé. Le chef venu tout changea de face... Le marquis mit en batterie deux pièces de seize. Trois fois il ajusta Gauvain et le manqua. Gauvain avait devant lui, en défalquant les morts et les fuyards, au moins cinq mille combattants, et il ne lui restait à lui que douze cents hommes maniables. Gauvain était du pays, il connaissait la ville; il savait que la vieille halle, où les Vendéens s'étaient crénelés, était adossée à une dédale de ruelles étroites et tortueuses.... Il prit la tête de la colonne et, pendant que la canonnade continuait des deux côtés, ces vingt hommes, glissant comme des ombres, s'enfoncèrent dans les ruelles désertes. Gauvain arriva à l'extrémité d'une ruelle d'où l'on rentrait dans la grande rue; seulement on était de l'autre côté de la halle. La position était tournée. De ce côté-ci il n'y avait pas de retranchement... Gauvain leva son épée, il cria : "Deux cents hommes par la droite, deux cents hommes par la gauche, tout le reste sur le centre!" Les douze coups de fusil partirent et les sept tambours sonnèrent la charge. Toute cette masse paysanne se sentit prise à revers, et s'imagina avoir une nouvelle armée dans le dos... En quelques instants la halle fut vide, les gars terrifiés se désagrégèrent... Le marquis de Lantenac vit cette déroute et il dit : "Décidément les paysans ne tiennent pas. Il nous faut les Anglais."

     Cimourdain dit à Gauvain : - Où en sommes-nous?
Gauvain répondit : - J'ai dispersé les bandes de Lantenac. Le voilà acculé à la forêt de Fougères. Dans huit jours il sera cerné.... Il regarda Gauvain en face : - Pourquoi as-tu fait mettre en liberté ces religieuses du couvent de St Marc-le-Blanc? - Je ne fais pas la guerre aux femmes - Pour la haine une femme vaut dix hommes. Pourquoi as-tu refusé d'envoyer au tribunal révolutionnaire tout ce troupeau de vieux prêtres fanatiques pris à Louvigné? - Je ne fais pas la guerre aux vieillards. -Pourquoi, après la victoire de Landéan, n'as-tu pas fait fusiller tes trois cents paysans prisonniers? - Parce que Bonchamp avait fait grâce aux prisonniers républicains...

     Le voyageur qui, il y a quarante ans, entré dans la forêt de Fougères du côté de Laignelet, en ressortait du côté de Parigné, faisait, sur la lisière de cette profonde futaie, une rencontre sinistre. En débouchant du hallier, il avait brusquement devant lui la Tourgue, la Tourgue morte, lézardée, sabordée, démantelée... Ce qu'on avait sous les yeux, c'était une haute tour ronde, toute seule au coin du bois comme un malfaiteur. La Tourgue signifie la Tour-Gauvain et était en 1793 une forteresse....

     Juillet s'écoula, août vint, un souffle héroïque et féroce passait sur la France. Marat un couteau au flanc, Charlotte Corday sans tête, tout devenait formidable. Quand à la Vendée, battue dans la grande stratégie, elle se réfugiait dans la petite, plus redoutable.... Un décret envoyait en Vendée l'armée de Mayence; huit mille Vendéens étaient morts à Ancenis, les Vendéens étaient repoussés à Nantes, débusqués à Montaigu, expulsés de Thouars, chassés de Noirmoutier, culbutés hors de Cholet, de Mortagne et de Saumur; ils évacuaient Parthenay; ils abandonnaient Clisson; ils étaient battus à Pornic, aux Sables, à Fontenay, à Doué; ils étaient en échec à Luçon, en déroute à la Roche-sur-Yon; mais d'une part, ils menaçaient La Rochelle, et d'autre part, dans les eaux de Guernesey, une flotte anglaise, aux ordres du général Craig, n'attendait qu'un signal du marquis de Lantenac pour débarquer...

     Dans ce mois d'août La Tourgue était assiégée. Le marquis de Lantenac : - vous êtes quatre mille cinq cents soldats qui nous attaquez; et nous, nous sommes dix-neuf hommes qui nous défendons... Nous avons en nos mains trois prisonniers, qui sont trois enfants. Ces enfants ont été adoptés par un de vos bataillons, et ils sont à vous. Nous vous offrons de vous rendre ces trois enfants. A une condition c'est que nous aurons la sortie libre.... Si vous refusez les enfants meurent.

Pour connaître le dénouement très inattendu il vous faudra à présent acheter ou emprunter l'ouvrage...
Alain GOUAILLIER

2- "Les Chouans" de Balzac

          Honoré Balzac est natif de Tours.Se croyant poète il n'arrive pas à se réaliser dans l'écriture ni dans les affaires. Un fait historique datant de 1798 lui apportera la gloire : la guerre des Chouans. Il se rend pendant deux mois à Fougères chez l'ami de son père, le général baron de Pommereul. Durant cinq mois il écrit quatre tomes de son roman en 1829, à l'âge de 31 ans.
     L'action se passe dans les "premiers jours de l'an VIII; au commencement de vendémiaire", soit dans les derniers jours de septembre 1799 et se situe par-delà Fougères, en allant vers Mayenne et Mortagne.

Extraits :

     "Du sommet de la Pélerine apparaît aux yeux du voyageur la grande vallée du Couësnon, dont l'un des points culminants est occupé à l'horizon par la ville de Fougères. Son château domine, en haut du rocher où il est bâti, trois ou quatre routes importantes, position qui la rendait jadis une des clés de la Bretagne. De là les officiers découvrirent, dans toute son étendue, ce bassin aussi remarquable par la prodigieuse fertilité de son sol que par la variété de ses aspects. De toutes parts, des montagnes de schiste s'élèvent en amphithéâtre, elles déguisent leurs flancs rougeâtres sous des forêts de chênes, et recèlent dans leurs versants des vallons pleins de fraîcheur. Ces rochers décrivent une vaste enceinte, circulaire en apparence, au fond de laquelle s'étend avec mollesse une immense prairie dessinée comme un jardin anglais. La multitude de haies vives qui entourent d'irréguliers et de nombreux héritages, tous plantés d'arbres, donnent à ce tapis de verdure une physionomie rare parmi les paysages de France, et il enferme de féconds secrets de beauté dans ses contrastes multipliés dont les effets sont assez larges pour saisir les âmes les plus froides. En ce moment, la vue de ce pays était animée de cet éclat fugitif par lequel la nature se plaît à rehausser parfois ses impérissables créations...

     Pendant que le détachement traversait la vallée, le soleil levant avait lentement dissipé ces vapeurs blanches et légères qui, dans les matinées de septembre, voltigent sur les prairies. A l'instant où les soldats se retournèrent, une invisible main semblait enlever à ce paysage le dernier des voiles dont elle l'aurait enveloppé, nuées fines, semblables à ce linceul de gaze diaphane qui couvre les bijoux précieux et à travers lequel ils excitent la curiosité. Dans le vaste horizon que les officiers embrassèrent, le ciel n'offrait pas le plus petit nuage qui pût faire croire, par sa clarté d'argent, que cette immense voûte bleue fût le firmament. C'était plutôt un dais de soie supporté par les cimes inégales des montagnes, et placé dans les airs pour protéger cette magnifique réunion de champs, de prairies, de ruisseaux et de bocages. Les officiers ne se lassaient pas d'examiner cet espace où jaillissent tant de beautés champêtres. Les uns hésitaient longtemps avant d'arrêter leurs regards parmi l'étonnante multiplicité de ces bosquets que les teintes sévères de quelques touffes jaunies enrichissaient des couleurs du bronze, et que le vert émeraude des prés irrégulièrement coupés faisait encore ressortir. les autres s'attachaient aux contrastes offerts par des champs rougeâtres où le sarrasin récolté se dressait en gerbes coniques semblables aux faisceaux d'armes que le soldat amoncèle au bivouac, et séparés par d'autres champs que doraient les guérets des seigles moissonnés. Ca et là, l'ardoise sombre de quelques toits d'où sortaient de blanches fumées; puis les tranchées vives et argentées que produisaient les ruisseaux tortueux du Couësnon, attiraient l'oeil par quelques-uns de ces pièges d'optique qui rendent, sans qu'on sache pourquoi, l'âme indécise et rêveuse. La fraîcheur embaumée des brises d'automne, la forte senteur des forêts, s'élevaient comme un nuage d'encens et enivraient les admirateurs de ce beau pays, qui contemplaient avec ravissement ses fleurs inconnues, sa végétation vigoureuse, sa verdure rivale de celle d'Angleterre, sa voisine dont le nom est commun aux deux pays. Quelques bestiaux animaient cette scène déjà si dramatique. Les oiseaux chantaient, et faisaient ainsi rendre à la vallée une suave, une sourde mélodie qui frémissait dans les airs...." 

     "Dans ces temps de discorde, les habitants de l'Ouest avaient appelé tous les soldats de la République, des "Bleus". Ce surnom était dû à ces premiers uniformes bleus et rouges... Cette colonne était le contingent péniblement obtenu du district de Fougères. Le gouvernement avait demandé cent mille hommes, afin d'envoyer de prompts secours à ses armées, alors battues par les Autrichiens en Italie, par les Prussiens en Allemagne, et menacées en Suisse par les Russes... Les départements de l'Ouest, connus sous le nom de Vendée, la Bretagne et une portion de la Basse Normandie, pacifiés depuis trois ans par les soins du général Hoche après une guerre de quatre années, paraissait avoir saisi ce moment pour recommencer  la lutte."

     "En considérant ces hommes étonnés de se voir ensemble, et ramassés comme au hasard, on eût dit la population d'un bourg chassée de ses foyers par un incendie. Mais l'époque et les lieux donnaient un tout autre intérêt à cette masse d'hommes. Un observateur initié au secret des discordes civiles qui agitaient alors la France aurait pu facilement reconnaître le petit nombre de citoyens sur la fidélité desquels la République devait compter dans cette troupe, presque entièrement composée de gens qui, quatre ans auparavant, avaient guerroyé contre elle. Les républicains seuls marchaient avec une sorte de gaieté. Quant aux autres individus de la troupe, s'ils offraient des différences sensibles dans leurs costumes, ils montraient sur leurs figures et dans leurs attitudes cette expression uniforme que donne le malheur. Bourgeois et paysans, tous gardaient l'empreinte d'une mélancolie profonde; leur silence avait quelque chose de farouche, et ils semblaient courbés sous le joug d'une même pensée, terrible sans doute, mais soigneusement cachée, car leurs figures étaient impénétrables; seulement la lenteur peu ordinaire de leur marche pouvait trahir de secrets calculs. De temps en temps, quelques-uns d'entre eux, remarquables par des chapelets suspendus à leur cou, malgré le danger qu'ils couraient à conserver ce signe d'une religion plutôt supprimée que détruite, secouaient leurs cheveux et relevaient la tête avec défiance. Ils examinaient alors à la dérobée les bois, les sentiers et les rochers qui encaissaient la route, mais de l'air avec lequel un chien, mettant le nez au vent, essaie de subodorer le gibier; puis, en n'entendant que le bruit monotone des pas de leurs silencieux compagnons, ils baissaient de nouveau leurs têtes et reprenaient leur contenance de désespoir, semblables à des criminels emmenés au bagne pour y vivre, pour y mourir..." 

     " - c'est que, répondit le sombre interlocuteur avec un accent qui prouvait une assez grande difficulté de parler français, c'est là, dit-il en étendant sa rude et large main vers Ernée, là est le Maine, et là finit la Bretagne...

     -D'où viens-tu? - Du pays des "Gars" - Ton nom? - "Marche-à-terre" - Pourquoi portes-tu, malgré la loi, ton surnom de chouan?..."

     L'embuscade : (sous le Directoire, un détachement militaire républicain, sous les ordres du commandant Hulot, emmène des jeunes gens de la réquisition du pays de Fougères. En chemin un paysan surnommé Marche-à-terre vient à leur rencontre et leur tient conversation. Le commandant, le trouvant suspect, le fait s'asseoir, surveillé par deux hommes, et envoie quatre soldats en éclaireurs à l'approche d'un bois. Bientôt les deux émissaires de la gauche du chemin reviennent sans avoir rien vu d'inquiétant...)

     ...."Pendant que les deux tirailleurs lui faisaient un espèce de rapport, Hulot cessa de regarder Marche-à-terre. Le Chouan se mit alors à siffler vivement, de manière à faire retentir son cri à une distance prodigieuse; puis, avant qu'aucun de ses surveillants l'eût même couché en joue, il leur avait appliqué un coup de fouet qui les renversa sur la berme. Aussitôt des cris ou plutôt des hurlements sauvages surprirent les républicains. Une décharge terrible, partie du bois qui surmontait le talus où le Chouan s'était assis, abattit sept ou huit soldats. Marche-à-terre, sur lequel cinq ou six hommes tirèrent sans l'atteindre, disparut dans le bois après avoir grimpé le talus avec la rapidité d'un chat sauvage; ses sabots roulèrent dans le fossé, et il fut aisé de lui voir alors aux pieds les gros souliers ferrés que portaient habituellement les chasseurs du roi. Aux premiers cris jetés par les Chouans, tous les conscrits sautèrent dans le bois à droite, semblables à ces troupes d'oiseaux qui s'envolent à l'approche d'un voyageur.

- Feu sur ces mâtins-là! cria le commandant. La compagnie tira sur eux, mais les conscrits avaient su se mettre à l'abri de cette fusillade en s'adossant à des arbres; et avant que les armes eussent été rechargées, ils avaient disparu.

- Décrétez donc des légions départementales, hein! dit Hulot... Il faut être bête comme le Directoire pour vouloir compter sur la réquisition de ce pays-ci...

- Voilà des crapauds qui aiment mieux leurs galettes que le pain de munition, dit Beau-Pied, le malin de la compagnie.

     A ces mots des huées et des éclats de rire partis du sein de la troupe républicaine honnirent les déserteurs, mais le silence se rétablit tout à coup. Les soldats virent descendre péniblement du talus les deux chasseurs que le commandant avait envoyés battre les bois de la droite. Le moins blessé des deux soutenait son camarade, qui abreuvait le terrain de son sang. Les deux pauvres soldats étaient parvenu à la moitié de la pente lorsque Marche-à-terre montra sa face hideuse : il ajusta si bien les deux Bleus qu'il les acheva d'un seul coup, et ils roulèrent pesamment dans le fossé. A peine avait-on vu sa grosse tête, que trente canons de fusil se levèrent; mais semblable à une figure fantasmagorique, il avait disparu derrière les fatales touffes de genêts. Ces événements, qui exigent tant de mots, se passèrent en un moment; puis en un moment aussi, les patriotes et les soldats de l'arrière-garde rejoignirent le reste de l'escorte.- En avant! s'écria Hulot.

     La compagnie se porta rapidement à l'endroit élevé et découvert où le piquet avait été placé. Là, le commandant mit la compagnie en bataille; mais il n'aperçut aucune démonstration hostile de la part des Chouans, et crut que la délivrance des conscrits était le seul but de cette embuscade." ....

  ....   "Les berges du chemin sont encaissées par des fossés dont les terres sans cesse rejetées sur les champs y produisent de hauts talus couronnés d'ajoncs. Cet arbuste, qui s'étale en buissons épais, fournit pendant l'hiver une excellente nourriture aux chevaux et aux bestiaux; mais tant qu'il n'est pas récolté, les Chouans se cachaient derrière ses touffes d'un vert sombre. Ces talus et ces ajoncs, qui annoncent au voyageur l'approche de la Bretagne, rendaient alors cette partie de la route aussi dangereuse qu'elle est belle..."

     "Galope-chopine évita soigneusement la grande route, et guida les deux étrangères à travers l'immense dédale de chemins de traverse de la Bretagne. Mademoiselle de Verneuil comprit alors la guerre des Chouans. En parcourant ces routes elle put mieux apprécier l'état de ces campagnes qui, vues d'un point élevé, lui avaient paru si ravissantes; mais dans lesquelles il faut s'enfoncer pour en concevoir et les dangers et les inextricables difficultés. Autour de chaque champ, et depuis un temps immémorial, les paysans ont élevé un mur en terre, haut de six pieds, de forme prismatique, sur le faîte duquel croissent des châtaigniers, des chênes, ou des hêtres. Ce mur, ainsi planté, s'appelle une "haie" (la haie normande), et les longues branches qui la couronnent, presque toujours rejetées sur le chemin, décrivent au-dessus un immense berceau. Les chemins, tristement encaissés par ces murs tirés d'un sol argileux, ressemblent aux fossés des places fortes, et lorsque le granit qui, dans ces contrées, arrive presque toujours à fleur de terre, n'y fait pas une espèce de pavé raboteux, ils deviennent alors tellement impraticables que la moindre charrette ne peut y rouler qu'à l'aide de deux paires de boeufs et de deux chevaux petits, mais généralement vigoureux. Ces chemins sont si habituellement marécageux, que l'usage a forcément établi pour les piétons dans le champ et le long de la haie un sentier nommé une "rote", qui commence et finit avec chaque pièce de terre. Pour passer d'un champ dans un autre, il faut donc remonter la haie au moyen de plusieurs marches que la pluie rend souvent glissantes.

     Les voyageurs avaient encore bien d'autres obstacles à vaincre dans ces routes tortueuses. Ainsi fortifié, chaque morceau de terre a son entrée qui, large de dix pieds environ, est fermée par ce qu'on nomme dans l'Ouest un "échalier". L'échalier est un tronc ou une forte branche d'arbre dont un des bouts, percé de part en part, s'emmanche dans une autre pièce de bois informe qui lui sert de pivot. L'extrémité de l'échalier se prolonge un peu au-delà de ce pivot, de manière à recevoir une charge assez pesante pour former un contrepoids et permettre à un enfant de manoeuvrer cette singulière fermeture champêtre dont l'autre extrémité repose dans un trou fait à la partie inférieure de la haie...

     Ces haies et ces échaliers donnent au sol la physionomie d'un immense échiquier dont chaque champ forme une case parfaitement isolée des autres, close comme une forteresse, protégée comme elle par des remparts. La porte, facile à défendre, offre à des assaillants la plus périlleuse de toutes les conquêtes. En effet, le paysan breton croit engraisser la terre qui se repose, en y encourageant la venue de genêts immenses, arbuste si bien traité dans ces contrées qu'il y arrive en peu de temps à hauteur d'homme. Ce préjugé, digne de gens qui placent leurs fumiers dans la partie la plus élevée de leurs cours, entretient sur le sol et dans la proportion d'un champ sur quatre, des forêts de genêts, au milieu desquelles on peut dresser mille embûches. Enfin il n'existe peut-être pas de champ où il ne se trouve quelques vieux pommiers à cidre qui y abaissent leurs branches basses et par conséquent mortelles aux productions du sol qu'elles couvrent; or si vous venez à songer au peu d'étendue des champs dont toutes les haies supportent d'immenses arbres à racines gourmandes qui prennent le quart du terrain, vous aurez une idée de la culture et de physionomie du pays.

     On ne sait si le besoin d'éviter les contestations a, plus que l'usage si favorable à la paresse d'enfermer les bestiaux sans les garder, conseillé de construire ces clôtures formidables dont les permanents obstacles rendent le pays imprenable, et la guerre des masses impossible. Quand on a, pas à pas, analysé cette disposition du terrain, alors se révèle l'insuccès nécessaire d'une lutte entre des troupes régulières et des partisans; car cinq cents hommes peuvent défier les troupes d'un royaume. Là était tout le secret de la guerre des Chouans..." 

     La Bretagne est, de toute la France, le pays où les moeurs gauloises ont laissé les plus fortes empreintes. Les parties de cette province où, de nos jours encore, la vie sauvage et l'esprit superstitieux de nos rudes aïeux sont restés, pour ainsi dire, flagrants, se nomment le pays des "Gars". Lorsqu'un canton est habité par nombre de Sauvages semblables à celui qui vient de comparaître dans cette Scène, les gens de la contrée disent : Les gars de telle paroisse; et ce nom classique est comme une récompense de la fidélité avec laquelle ils s'efforcent de conserver les traditions de langage et des moeurs gaëliques; aussi leur vie garde-t-elle de profonds vestiges des croyances et des pratiques superstitieuses des anciens temps. Là, les coutumes féodales sont encore respectées. Là les antiquaires retrouvent debout les monuments des Druides. Là, le génie de la civilisation moderne s'effraie de pénétrer à travers d'immenses forêts primordiales. Une incroyable férocité, un entêtement brutal, mais aussi la foi du serment; l'absence complète de nos lois, de nos moeurs, de notre habillement, de nos monnaies nouvelles, de notre langage, mais aussi la simplicité patriarcale et d'héroïques vertus s'accordent à rendre les habitants de ces campagnes plus pauvres de combinaisons intellectuelles que ne le sont les Mohicans et les Peaux-Rouges de l'Amérique septentrionale, mais aussi grands, aussi rusés, aussi durs qu'eux. La place que la Bretagne occupe au centre de l'Europe la rend beaucoup plus curieuse à observer que ne l'est le Canada. Entouré de lumières dont la bienfaisante chaleur ne l'atteint pas, ce pays ressemble à un charbon glacé qui resterait obscur et noir au sein d'un brillant foyer. Les efforts tentés par quelques grands esprits pour conquérir à la vie sociale et à la prospérité cette belle partie de la France, si riche de trésors ignorés, tout, même les tentatives du gouvernement, meurt au sein de l'immobilité d'une population vouée aux pratiques d'une immémoriale routine. Ce malheur s'explique assez par la nature d'un sol encore sillonné de ravins, de torrents, de lacs et de marais; hérissé de haies, espèces de bastions en terre qui font, de chaque champ, une citadelle; privé de routes et de canaux; puis par l'esprit d'une population ignorante, livrée à des préjugés dont les dangers seront accusés par les détails de cette histoire, et qui ne veut pas de notre moderne agriculture. La disposition pittoresque de ce pays, les superstitions de ses habitants excluent et la concentration des individus et les bienfaits amenés par la comparaison, par l'échange d'idées. Là point de villages. Les constructions précaires que l'on nomme des logis sont clairsemées à travers la contrée. Chaque famille y vit comme dans un désert. Les seules réunions connues sont les assemblées éphémères que le dimanche ou les fêtes de la religion consacrent à la paroisse. Ces réunions silencieuses, dominées par le recteur, le seul maître de ces esprits grossiers, ne durent que quelques heures. Après avoir entendu la voix terrible de ce prêtre, le paysan retourne pour une semaine dans sa demeure insalubre; il en sort pour le travail, et y rentre pour dormir. S'il y est visité, c'est par ce recteur, l'âme de la contrée. Aussi, fût-ce à la voix de ce prêtre que des milliers d'hommes se ruèrent sur la république, et que ces parties de la Bretagne fournirent cinq ans avant l'époque à laquelle commence cette histoire, des masses de soldats à la première chouannerie. Les frères Cottereau, hardis contrebandiers qui donnèrent leur nom à cette guerre, exerçaient leur périlleux métier de Laval à Fougères. Mais les inssurections de ces campagnes n'eurent rien de noble et l'on peut dire avec assurance qui si la Vendée fit du brigandage une guerre, la Bretagne fit de la guerre un brigandage. La proscription des princes, la religion détruite ne furent pour les Chouans que des prétextes de pillage, et les événements de cette lutte intestine contractèrent quelque chose de la sauvage âpreté qu'ont les moeurs en ces contrées. Quand de vrais défenseurs de la monarchie vinrent recruter des soldats parmi ces populations ignorantes et belliqueuses, ils essayèrent mais en vain, de donner, sous le drapeau blanc, quelque grandeur à ces entreprises qui avaient rendu la chouannerie odieuse et les Chouans sont restés comme un mémorable exemple du danger de remuer les masses peu civilisées d'un pays.

     Le tableau de la première vallée offerte par la Bretagne aux yeux du voyageur, la peinture des hommes qui composaient le détachement des réquisitionnaires, la description du gars apparu sur le sommet de la Pélerine, donnent en raccourci une fidèle image de la province et de ses habitants. Une imagination exercée peut, d'après ces détails, concevoir le théâtre et les instruments de la guerre; là en étaient les éléments. Les haies si fleuries de ces belles vallées cachaient alors d'invisibles agresseurs. Chaque champ était alors une forteresse, chaque arbre méditait un piège, chaque vieux tronc de saule creux gardait un stratagème. Le lieu du combat était partout. Le fusil attendait au coin des routes les Bleus que de jeunes filles attiraient en riant sous le feu des canons, sans croire être perfides; elles allaient en pélerinage avec leurs pères et leurs frères demander des ruses et des absolutions à des vierges de bois vermoulu. La religion ou plutôt le fétichisme de ces créatures ignorantes désarmait le meurtre de ses remords. Aussi une fois cette lutte engagée, tout dans le pays devenait dangereux: le bruit comme le silence, la grâce comme la terreur, le foyer domestique comme le grand chemin. Il y avait de la conviction dans ces trahisons. C'était des Sauvages qui servaient Dieu et le roi, à la manière dont les Mohicans font la guerre. Mais pour rendre exacte et vraie en tout point la peinture de cette lutte, l'historien doit ajouter qu'au moment où la paix de Hoche fut signée, la contrée entière redevint et riante et amie. Les familles qui, la veille, se déchiraient encore, le lendemain soupèrent sans danger sous le même toit..."

     "...En 1827, un vieil homme accompagné de sa femme marchandait des bestiaux sur le marché de Fougères, et personne ne lui disait rien quoiqu'il eût tué plus de cent personnes, on ne lui rappelait même point son surnom de Marche-à-terre; la personne à qui l'on doit de précieux renseignements sur tous les personnages de cette scène, le vit emmenant une vache et allant de cet air simple, ingénu qui fait dire : - Voilà un bien brave homme!"

Alain GOUAILLIER, qui vous incite ainsi à lire ce roman historique...

     On peut aussi aller à la Médiathèque locale pour connaître l'Histoire d'Acigné. Dans l'ouvrage d'Alain RACINEUX "Histoire d'Acigné et ses environs" 1999, il est noté page 119 et suivantes :

"... C'est au printemps 1794, sous la Convention, que se déclencha ouvertement la Chouannerie en Ille-et-Vilaine. Il y eut une compagnie chouanne à St-Didier, une autre à St Jean-sur-Vilaine et une autre à Domagné....Il y eut peut-être quatre ou cinq particuliers à Acigné et six ou sept à Brécé... Les bandes de Chouans extérieures firent quelques incursions sur Acigné. Une victime ciblée fut Joseph Chalmel notaire public, membre du conseil du district et organisateur de la vente des biens du curé réfractaire.... En 1795 on nota "... dans un canton de 4 à 5 lieues carrées de pays, dix Chouans stables y répandent plus de terreur que deux cent hommes de troupes...."... En l'An V de la république un Chouan abattit l'arbre de la liberté à Acigné.... " en 1796 six individus de la garde territoriale de Servon furent saisis par une compagnie de Chouans habillés en Bleus. Quatre ont été égorgés par ces monstres sanguinaires..." "Dans la nuit du 13 au 14 octobre 1799, vingt Chouans s'emparèrent, à main armée, du poste militaire des Forges de Noyal. Les témoins les décrivirent comme habillés d'une petite veste courte, d'un chapeau rond avec ruban blanc et tous armés de carabines...

     " Le rôle de la garde nationale d'Acigné se monte à 242 hommes. On y trouverait à peine 18 défenseurs de la patrie" (rapport du 19 février 1799)

     Le premier assassinat a été commis par les Chouans à Villory, hameau de la Bouëxière proche d'Acigné. Le 12 avril 1796, une vingtaine de cultivateurs travaillant à "émotter du guéret" dans un champ s'étaient réunis sous un châtaignier vers 16 heures pour collationner. Ils furent abordés par trois hommes armés de fusils. Après les avoir salués, leur chef, nommé Joseph Fouillard, leur demanda s'ils n'avaient pas vu des Chouans et sur leur réponse négative, il les accusa d'être de leur parti. L'un des cultivateurs, nommé Michel Desbien, leur répondit qu'ils étaient si peu Chouans que six d'entre eux étaient même de la garde territoriale. "Puisque tu es de la garde", reprit Fouillard, "tu ne seras pas fâché qu'on te fusille!". A ces mots Desbien qui était assis par terre, voulut se lever. Fouillard recula quelques pas et lui tira un coup de fusil qui le tua net. Les autres cultivateurs, épouvantés, prirent la fuite avec précipitation... Les deux camarades de Fouillard poursuivirent ceux qui avaient fui par le chemin, tirèrent par-dessus la haie, atteignirent Jean Lhermenier et Michel Jadré, qui s'affaissèrent et qu'ils achevèrent à coups de sabre et de crosse de fusil.

     Joseph Fouillard laboureur et tisserand naquit à Acigné au village de Louvigné. A l'époque de la Révolution, il vivait chez sa mère, à Broons-sur-Vilaine....Il se trouvait travailler à Acigné dans une ferme lorsque quatre Chouans l'embauchèrent dans leurs rangs aux environs de Noël 1795. Il les suivit et combattit avec eux pendant six mois. Les Chouans de Vitré firent leur soumission le 30 juin 1796. Comme eux, Fouillard déposa ses armes. Il fut amnistié. Fouillard ne put se résoudre à rester tranquille après la pacification. IL avait pris goût aux embuscades et à la guérilla.Au début de 1797 il fut accusé d'avoir rançonné des particuliers, et soupçonné de deux meurtres à La Bouëxière et à Brécé. Il fut arrêté par une patrouille à Châteaubourg et conduit au corps de garde, d'où il s'enfuit.De nouveau arrêté le 1er mai 1797 par trois militaires de la garnison de Vitré. Quinze jours plus tard il s'évada de la prison de Rennes avec trois compagnons de cellule et coucha à la ferme de "Pont-Briand" en Cesson "dans le foin sans que personne le sut". Le 3 juillet une patrouille de quatre soldats fut envoyée à leur recherche sur la commune d'Acigné. En passant au village de Louvigné, ils découvrirent deux des évadés dans la boutique du maréchal-ferrant. Ils voulurent les arrêter. L'un d'eux s'échappa en les frappant à coups de bâton, l'autre fut pris après avoir résisté. Il s'agissait de Fouillard. Les soldats le lièrent avec une bretelle de fusil. Mais au bout de quelques pas Fouillard cassa la bretelle et s'enfuit en sautant une barrière....On n'entendit plus parler de lui jusqu'à la mi-novembre où le propriétaire de la ferme de sa mère fut assassiné... Puis le 4 décembre 1797, Louis Bierras, acignolais patriote anciennement réfugié à Servon du temps de la Chouannerie, fut invité à une fête campagnarde en après-midi au Chesnais car il savait jouer du violon. Bierras y trouva une soixantaine de personnes qu'il fit danser. Vers 16 heures Fouillard et un de ses amis entrèrent dans le cellier de Foucaut, fermier chez qui se déroulait la fête, et ils trinquèrent avec quelques-uns des invités. Vers 17 heures, un repas fut servi. On y convia les deux rebelles. Fouillard, pour remercier, "régala la compagnie de plusieurs chansons chouanniques". Après avoir bu, mangé et chanté il se rendit avec son associé dans la salle de bal. Reconnaissant alors Bierras, il se jeta sur lui, le maltraita, puis retourna sur ses pas chercher son fusil. Aucun des invités ne vint secourir le malheureux. Au contraire, on lui demanda de continuer à jouer du violon. Bierras s'approcha de la porte en jouant, puis se précipita dehors... Fouillard avait disparu....Les autorités décidèrent alors de payer des espions. Fouillard, avec trois complices, fut repéré au moulin de la Quinvraye sur la commune de Betton, dans la nuit du 8 au 9 janvier 1798. Au moment de cerner les étables de la ferme, trois des suspects sortirent par la porte de derrière de l'étable à vaches et s'enfuirent pieds nus dans la campagne.Ils furent poursuivis. L'un d'eux se rendit. Un autre plongea dans la rivière où il fut rattrapé. le troisième s'enfuit par le pont. Retournant à la ferme la troupe fouilla les greniers et y découvrit Fouillard, caché sous les planches. Un rapport raconta que Fouillard fit feu et que les volontaires l'abattirent.... Il avait 23 ans....

   ...  Le curé d'Acigné Paul Le Tranchant exerçait clandestinement son ministère. Il fut inscrit sur la liste des émigrés! ....Il ne put reprendre le culte public qu'à partir du 6 novembre 1796. Plus tard de nouvelles persécutions reprirent. Paul Le Tranchant fut arrêté sur dénonciation la nuit de Noël 1797. Il était camouflé à la ferme de la Timonière d'Acigné, chez Julien Veillard, commandant de la garde nationale d'Acigné! il fut emprisonné deux ans à la tour Le Bat à Rennes. On dit que son vicaire l'abbé Lévêque, passa lui aussi une partie de la Révolution caché à Acigné chez un menuisier...."

- "Béatrix" :

après l'ouvrage des "Chouans" dont le décor se situait entre Fougères et Alençon, Balzac - seulement âgé de 31 ans - vient à Guérande en juin 1830 accompagné de sa maîtresse Laure de Berny, mère de famille nombreuse de 53 ans.

     Partis de la région de Tours les deux amants parviennent en bateau à Saint-Nazaire puis s'installent à Guérande. Ils sont de suite impressionnés par la beauté de cette ville fortifiée : Balzac s'inspire des lieux pour écrire son nouveau roman "Béatrix" :

     "Après Guérande il n'est plus que Vitré au centre de la Bretagne et Avignon dans le midi, qui conservent au milieu de notre époque, leur intacte configuration du Moyen-Age". ... "La ville produit sur l'âme l'effet que produit un calmant sur le corps, elle est silencieuse autant que Venise...."

     Quant aux habitations : "... quelques-unes reposent sur des piliers de bois qui forment des galeries, sous lesquelles les passants circulent, et dont les planchers plient sans rompre. les maisons des marchands sont petites et basses, à façades couvertes en ardoises clouées." Au marché, Balzac est frappé par le cloisonnement des classes sociales et des métiers : "...paludiers, paysans marins se distinguent par leurs costumes et se tiennent à distance respectueuse de la bourgeoisie, de la noblesse et du clergé...."

     Guérande bien en Bretagne! ..." même après la Révolution de 1830, Guérande est encore une ville à part, essentiellement bretonne, catholique fervente, silencieuse et recueillie, où les idées nouvelles ont peu d'accès..."

     Les environs désolés de la ville : "le pays est mal desservi par de rares et mauvais chemins.... Balzac note l'événement du "passage de quelques malades allant prendre les bains de mer" et que : "...jetée au bout du continent la ville ne mène à rien et personne ne vient à elle...."

     Par contre : ..."A l'entour, le pays est ravissant, les haies sont pleines de fleurs, de chèvre-feuilles, de buis, de rosiers, de belles plantes. Vous diriez un jardin anglais dessiné par un grand artiste."

     Et que dire de l'enthousiasme de Balzac au Croisic : "... mon compas à la main, debout sur un rocher à cent toises au-dessus de l'océan, dont les lames se jouaient dans les brisants, j'arpentais mon avenir en le meublant d'ouvrages, comme un ingénieur qui sur un terrain vide, trace des forteresses et des palais...."

 

    

   

 Commençons en l’année 800 et arrêtons-nous à la veille de la Révolution de 1789. Un millénaire de petite et grande histoire au galop.

La vie des paysans, nos ancêtres à 90 % et plus

On vit par saisons au rythme des saints Martin, Michel... et les jours n’ont pas de numéros. L’heure de l’aube est celle du coq et la cloche donne l’heure selon l’humeur du sacristain. L’angélus sonné : aube, midi et fin du jour, ce sera à partir du XIIème siècle.

Le paysan n’est alors plus achetable-vendable. Il se lève tôt et rentre tard dans la maison en bois. Dans l’unique grande pièce au plancher de terre battue, on allume le feu au milieu de la pièce; la fumée s’échappe par un trou dans le toit. La cheminée ne viendra dans les chaumières que trois ou quatre siècles plus tard. Vers le XIIIème siècle un gong de cloche en fin de soirée indique qu'il convient de couvrir les feux pour éviter les incendies. On l'appelle le "couvre-feu". Pour garder la chaleur on bouche les fenêtres avec du foin; la vitre n’arrivera qu’à la “Renaissance”. 

 

 

Une chaumière de paysan du moyen Âge, d’après un livre de classe (Histoire cours élémentaire, Fernand Nathan, années 1950).

 En hiver, on introduit quelques animaux qui dégagent de la chaleur mais aussi amènent des mouches qui bourdonnent sans cesse. Les deux couples, le vieux et le jeune, dorment dans le lit; les enfants sur des tas de paille.

On exécute les travaux à la main, à la bêche et à la faucille. Plus tard, l’Ancien Régime interdira l’usage de la faux, coupable de faire perdre des grains et de priver les pauvres de chaume. On lèvera l’interdiction en 1791, mais il faudra attendre une vingtaine d’années pour son utilisation généralisée, permettant de doubler la productivité avec 50 ares de blé moissonnés par jour de travail contre 20 à la faucille. Cependant, on garde parfois la faucille utilisée par les femmes payées moins cher. On reproche aussi à la faux de couper les tiges trop bas et de détruire les nids de caille.
La chape à capuchon protège du soleil et de la pluie et on se désaltère avec de l’eau de sa gourde en peau de chèvre. La braie flottante ne viendra qu’au Moyen Âge et la chemisette au XIVème siècle. Un réel progrès fut la charrette à quatre roues tirée par des boeufs fin du XIIème siècle, du moins pour les laboureurs les plus aisés.  

La convivialité villageoise

     La grande fête de “Pâques” est célébrée le dimanche suivant la pleine lune postérieure au 21 mars. Puis, au quarante et unième jour, on jeûne dix jours entre Ascension et Pentecôte. Le lieu central du village est une modeste église où l’on se tient assis, à genoux ou debout sur le foin. On s’autorise des réactions spontanées qui déclenchent l’hilarité. Les animaux de compagnie y sont autorisés.

     Avec la montagne de Sainte-Geneviève de Paris, l'autre butte sacrée sur la rive gauche, était un "monceau" sur la route romaine de l'ouest. En 542, CHILDEBERT Ier, revenant de guerroyer en Espagne, rapporta la croix d'or de Salomon et des reliques de Saint-Vincent. Il fit construire une basilique pour abriter ces précieux restes. C'est l'actuelle Saint-Germain-des-Prés. L'église prit ce nom lorsque la tombe de l'évêque Germain fut devenue un lieu de miracles. Elle fut le centre d'un des plus importants monastères du moyen-âge. Elle a été la seconde nécropole des rois francs. DAGOBERT inaugure la troisième, Saint-Denis.

     Le vitrail médiéval tient une place importante avec le développement des églises et des cathédrales entre 950 et 1240. Les thèmes peuvent aussi bien évoquer des rois et reines, l'Empereur Charlemagne en 1225 à Chartres,... mais aussi le boucher, boulanger, charpentier, drapier, le forgeron ou le simple porteur d'eau. Il présente des scènes de la vie religieuse et donne lieu à des ouvrages de grande qualité dont la Rosace sud de Notre-Dame de Paris du XIIè siècle avec ses 12 mètres de diamètre. Fabriquer un vitrail c'est aussi être proche d'une forêt et d'une rivière ou d'un fleuve car il fallait mélanger à la cuisson du sable avec des cendres de bois et de fougères. La couleur du verre émanait d'adjonctions d'oxydes métalliques : oxyde de cuivre pour le rouge, cobalt pour le bleu et du fer pour le vert. Pour fixer la peinture - dite "grisaille" - sur les morceaux de verres peints, on doit faire fondre de la poudre de verre et chauffer un four à 650° C. On associe avec des clous un moule en fer composé de deux parties bien étanches en y versant du plomb fondu.

Les couleurs ne sont pas mélangées : le blanc indique la pureté et la justice le bleu le ciel et la vérité éternelle comme le manteau de la Vierge Marie et des rois de France  ,

Le brun est couleur des saltimbanques, des poètes et musiciens, le jaune couleur des menteurs, trompeurs et tricheurs,  le  rouge est symbole du Christ, du sang et du feu  le vert désigne les créatures maléfiques, démons, dragons ou serpents Après l’art roman, les églises profiteront de l’art gothique du XIIIème siècle. Il faudra attendre le XIVè siècle pour rétablir bon ordre avec une chaire qui domine l'assemblée. 


Nota AG : Ah!les couleurs et leurs significations à travers les âges et selon les peuples! Dans cette grande civilisation indienne, et ce monde "indo-européen" à l'origine des langues sanskrit, hittite, iranien, arménien, grec, latin, et langues romanes, slaves, germaniques, baltes, celtiques, ... HOLI est un grand rendez-vous de la religion hindouiste. On s'y maquille en se lançant des produits colorés à la figure. Surtout célébrée dans le nord de l'Inde, elle s'étend de nos jours à tout le pays et à l'étranger. La joie de célébrer le printemps dans cette période de dernière lune marquant la fin de l'hiver se déroule dans les temples et surtout dans la rue. C'est une fête collective avec de jolis costumes, des colliers ou des bracelets de fleurs.

Chaque couleur a une signification : le rouge : l'amour, le vert : l'harmonie, le jaune : une bonne santé, l'orange : l'optimisme et la force, le bleu : la vitalité.


   On découvre progressivement des animations avec les “Pardons”, les “ballades” et kermesses avec des ripailles, jeux rustiques, chants, musiques et danses bien racontées plus tard au XVIème siècle, par Noël du Faïl. 
Le "TRO BREIZH" (tour ou traversée de la Bretagne) est un pèlerinage vers les lieux de cultes des sept saints fondateurs de la Bretagne. Il fut inventé par l'Eglise catholique au XIIè siècle pour asseoir son autorité dans une région restée longtemps farouchement indépendante du pouvoir Franc (dont l'évéché de Dol-de-Bretagne créé par Nominoé). Ce pèlerinage s'est toutefois inspiré de la tradition de la "TROMéNIE", qui signifie "le tour du domaine", dont les racines sont nettement celtes...

Période "charnière"à la "césure de l'AN 1 000", certains situent alors une "grande croissance" par l'effondrement de l'Etat carolingien au profit de la féodalité. Selon le médiéviste rennais Florian Mazel ,"Nouvelle histoire du Moyen Age",:  "il faut surtout insister sur la RéFORME GRéGORIENNE qui s'étire sur une longue période d'un siècle et demi, allant du milieu du XIè jusqu'au début du XIIIè. L'Eglise s'émancipe alors du pouvoir politique pour pénétrer tous les domaines de la vie sociale, économique et politique. On doit à cette réforme, entre autres, le célibat des prêtres ou le sacrement du mariage qui a bouleversé les rapports entre hommes et femmes... Il y a en Europe un héritage chrétien, avec plusieurs formes. Et il y a également un islam ibérique ou sicilien qui ont joué un rôle majeur dans l'époque médiévale." D'une manière générale, en Europe on indique que le Moyen-Age débute avec la fin de l'Empire Romain d'Occident en 476 et l'année 1453 qui marque la chute de Constantinople prise par l'Empire Ottoman. Ce qui achève l'Empire Romain d'Orient. On peut aussi prolonger le Moyen-Age jusqu'à 1492 et les découvertes des Amériques avec Christophe Colomb et Americo Vespucci.

 

 

La danse des paysans par Brueghel l’Ancien.

Mais la malnutrition et la malpropreté amènent la peste et la lèpre.

"La Quarantaine au Moyen Age" : A l'époque médiévale, contrairement à ce qui est parfois suggéré, les règles d'hygiène étaient bien observées. Les gens effectuaient une toilette journalière et se lavaient les mains avant et après les repas. C'est à compter de la "Renaissance", au XVIè siècle, que ces comportements évolueront car on prétendait alors que l'eau ouvrait les pores de la peau, laissant ainsi entrer les maladies dans le corps... Au Moyen Age, outre les actes réalisés par les chirurgiens, que l'on appelait des barbiers, et la présence de sages-femmes qui utilisaient beaucoup de remèdes à base de plantes tels que du thym ou des clous de girofle, il existait une autre médecine qui empruntait ses recettes à la MAGIE et à la chimie. Les personnes aisées portaient, par exemple, autour du cou une Pomme d'Ambre. Il s'agissait d'un bijou dont la cavité intérieure était garnie d'ambre gris et qui était censé protéger des maladies. Pour se préserver de la PESTE existait une autre superstition. Les personnes les plus riches pensaient qu'il fallait porter à la main gauche un diamant et on prétend que ce serait l'origine du "solitaire" qui symbolise de nos jours la bague de fiançailles... Lors de la pandémie de PESTE NOIRE qui a ravagé l'Europe de 1347 à 1352, on a pris conscience qu'il fallait isoler les malades en "quarantaine". Les personnes atteintes de la peste ou de maladies telle que a lèpre ou la dysenterie étaient alors placées dans des "MALADRERIES". Cette précaution de "quarantaine" allait à l'encontre des moeurs de l'époque médiévale car, lorsque l'on se sentait en fin de vie, on se rapprochait de sa famille. Cette attitude, malheureusement, permettait aux épidémies de se propager plus rapidement." par Stéphanie Vincent-Langlois  www.legendesethistoire.com O.F. 11/5/20

      

    La PESTE fut très active dans le bassin de Rennes, allant vers Janzé entre 1563 et 1640. A cela s’ajoutent les famines qui peuvent durer plusieurs années et entraînent le brigandage avec des routiers, des cottereaux qui ne craignent pas la pendaison par bandes entières.

Les puissants

L’aristocratie féodale est née de la pratique professionnelle de la guerre à cheval. Les  “barbares” étrangers de l’Est de l’Europe font découvrir l’étrier au début du VIIIème siècle. Cet atout décisif permettra à Charles Martel d’en équiper sa cavalerie et de vaincre en 732 les Arabes d’Abd al Rahman ibn Abdallah, qui y meurt. Le roi confisque alors les terres ecclésiastiques pour financer l’équipement d’un guerrier.Celui-ci représente alors le coût d’une vingtaine de boeufs. Et le cheval mange des céréales... L’aptitude de conduire un cheval à la guerre et à la chasse sera une marque culturelle amenant la chevalerie.Charlemagne sera un guerrier qui réalisera cinquante-trois campagnes militaires dont trente-quatre réservées aux Saxons. En 782, il en fera trancher la tête à 4 500 dans une journée. Pendant quarante-six années de règne, sa seule défaite sera devant Saragosse en Espagne (face aux Musulmans ou aux Vascons?), avec la fameuse retraite par Roncevaux. 

L'historien acignolais Alain Racineux : RONCEVAUX, "Ce ne sont pas des Sarrasins mais des Vascons, alias les Basques, qui ont tué Roland pour venger le sac de Pampelune ("Vita Karoli Magni", oeuvre écrite entre les années 829 et 836 par Eginhard, moine et chroniqueur). Les Vascons massacrèrent Roland et toute son armée à Roncevaux. Le roi Charles Ier, futur charlemagne, conduisit ses troupes à Saragosse en Espagne à la demande du wali de la ville Soliman ibn al-Arabi. Mais ce dernier ayant été remplacé entre-temps, Charles y trouva les portes de la ville closes. Pour compenser cet échec l'aile occidentale de l'armée franque, conduite par le roi, s'en prit à la ville navarraise de Pampelune qui avait pourtant résisté à la pression musulmane, mais dont les Francs rasèrent les défenses. Le 15 août 778, en représailles, des Vascons rattrappèrent et anéantirent l'arrière-garde de l'armée du roi Charles, lourdement armée, alors qu'elle progressait dans une vallée encaissée depuis Roncevaux. Roland et quelques autres nobles y trouvèrent la mort, ainsi que le comte du palais Anselme le preux. Et les Vascons reprirent le "BUTIN de PAMPELUNE".

La "CHANSON de ROLAND" fut créée pour glorifier la Maison de Charlemagne dans une période de crise dynastique. Une autre version fit jour avant la seconde croisade, vers 1146, pour servir les plans du prêcheur saint Bernard et la lutte contre les Sarrasins. 

 

 

L’empereur à la barbe fleurie reçoit la soumission des Saxons (Mon Histoire de France, Hachette, début du XXe siècle).

 Le paysan, quant à lui, se contentera d’une invention considérable : le collier rigide d’épaules, posé au cou des chevaux de trait, pouvant tirer très fort.

Au Xème siècle les Capétiens pratiquent la chasse à courre pour se procurer du gibier ou détruire les grands animaux ravageurs des forêts et des champs. Le chevalier et homme d’épée, bien en selle avec ses étriers, domine le manant à qui il n’autorise pas le droit de chasse.

Il est dit que le “percheron” aux proportions parfaites serait issu d’un apport des chevaux arabes capturés à la bataille de Poitiers. Et aussi de chevaux tartares de prisonniers mongols. Et que dire du cheval “breton” de plus petite taille, léger et vivace, qui fit le bonheur des Bretons de Nominoé, tels des Indiens lançant leurs lances contre les Francs à la bataille de Ballon près de Redon en 845.

 Le pouvoir monarchique concentré sur la région parisienne veut s’agrandir avec l’apport de mariages dotés de territoires. Les guerres se succèdent contre les Plantagenets d’Angleterre, ces Normands aidés par 30% de Bretons qui ont conquis l’Angleterre en 1066. Le pape Urbain II lance la première croisade pour délivrer Jérusalem en 1096. Il en faudra huit, fort ruineuses, jusqu’à Saint-Louis qui mourra du scorbut. Et pourtant l’Orient disposait de tous les fruits qui l’auraient guéri : pastèque et melon, abricot, pêche originaire de Chine, le citronnier originaire des pieds de l’Himalaya, le cerisier, mais aussi les épinards et les échalotes, le céleri diurétique, l’asperge ainsi que l’artichaut, nourriture des ânes, et les prunes. Les chevaliers seront impuissants pour s’emparer de Damas, “pour des prunes”! En 1148, à la deuxième croisade, un moine ramène un prunier de Damas. On le "croise" avec un prunier cerise européen. Pour en faire un pruneau on sèche les prunes dix-huit heures au four, on les réhydrate trente minutes dans une eau à 80°C puis on les pasteurise au four pendant cinq heures. Le fruit sec de couleur noire sera un bien précieux, riche de vitamines, de fibres et de minéraux. Il s'adapte bien sur les bords du Lot. On dit "pruneau d'Agen" car il y embarquait pour rejoindre le port de Bordeaux.

Les premiers croisés ont rapporté la technique du moulin à vent, inventé au VIIème siècle par les Perses. Ils auraient pu aussi revenir avec une brouette d’Orient, inconnue en Occident. Le sucre ne sera importé d’Alexandrie qu’au XIIIème siècle.

Le vin et le tabac tracent leurs routes

     Avec la conquête romaine de la gaule la vigne gagne des terres d'est en ouest et vers le nord. Au IIIème siècle, le cépage gaulois s'étend selon les axes commerciaux de Béziers à Narbonne et Bordeaux par la Garonne, et le long des vallées du Rhône et de la Saône. Le christianisme renforce la place du vin dans la société. Les références à la vigne dans la Bible sont nombreuses. Les viticultures épiscopales et monastiques sont encouragées par le Concile d'Aix-la-Chapelle en 816. Pendant tout le Moyen-Age, la France est le premier exportateur de vin. 

     Dans l'église primitive, le fidèle se donne lui-même la communion, il peut même emporter chez lui des fragments de pain consacré pour communier en cas d'urgence. Jusqu'au XIIIè siècle, il est admis à la communion sous les deux espèces. (L'orthodoxe continue cette tradition). A partir de cette époque, pour éviter les abus, le vin est réservé à l'officiant. Le concile de Constance tint bon contre les Hussites et celui de Trente contre les Protestants qui réclamaient la double communion.La "consécration de l'eucharistie" : miracle par lequel Jésus devient présent dans les epèces consacrées.

 

« Mythologie celtique. Les origines de l’art roman ». Pour décoder les églises.

 Au concile de Latran de 1215,il fut décrété que toute la substance du pain et du vin était changée en chair et en sang de Jésus : la "transsubstantiation".

Le concile de Trente promulgua à nouveau ce dogme.Dans la vie courante, le petit peuple se contente du pain "gris" avec son mélange de froment et de l'enveloppe de son. Les nobles mangent  le pain blanc" du seul froment; le pain rassis, coupé en grandes tranches, sert d'assiette jusqu'au XVè siècle. A la fin du repas, on le donne aux animaux ou aux mendiants.

Dès le XIIème siècle, fuyant les pillages de Vikings sur les bords de la Loire, des moines de Saint-Martin de Tours récupèrent des terres à Chablis grâce à Charles Le Chauve. Il se produira une concurrence directe avec les moines cisterciens de Pontigny. Et à l’arrivée une grande qualité du vin de Chablis.

On raconte aussi qu’un moine de Sancerre aurait utilisé vers 1040 son abondant vin pour l’associer au mortier servant à reconstruire son église détruite par le feu. Au XIIIème siècle, sainte Hildegarde ajoutera du houblon à la cervoise aromatisée au gingembre. On aura la bière. Au XIVème siècle, les papes français d’Avignon font couler le vin à flot dans la cité dénommée la “Babylone du siècle”. Tavernes et maisons de passe contribuent à ce surnom. Le pape Jean XXII y aura fait planter le “chateau neuf” (du pape). Sous Henri IV toutes les provinces donnent du vin, exceptés Normandie et Picardie, puis la Bretagne, qui préfèrent le cidre. Louis XV interdit les nouvelles plantations afin de limiter la production de vins médiocres. Les progrès techniques favorisent l'apparition de vins de qualité. La notion de "cru", référence de qualité, n'émerge qu'au XVIIIème siècle. Trois régions s'affirment : la Bourgogne, la Champagne et l'Aquitaine. Louis Pasteur localise les micro-organismes à l'origine de la fermentation. Il met au point la "pasteurisation" permettant notamment d'éliminer les bactéries aigrissant le vin. La rapidité des transports concourt à une meilleure qualité de conservation des vins. De nos jours le vin biologique et sans sulfites ajoutés permet une plus saine dégustation.

Parmi les découvertes de Christophe Colomb de 1492 à Cuba ou des Portugais au Brésil, le tabac mettra du temps à trouver le succès. Il faudra attendre 1559 pour que l’ambassadeur de France au Portugal, Jean Nicot, soigne son cuisinier avec un emplâtre de cette plante. 

 

 

 

Jean Nicot et son « médicament ».

 Le pétrin de poudre envoyé pour soigner les migraines de Catherine de Médicis lancera une mode et les apothicaires distribueront du tabac sous forme de lavements ou de purges. Bien que les brésiliens l’appellent “petun”, la plante sera l’herbe à Nicot (nicotine), mais aussi l’herbe sainte. Au début du XVIIème siècle on lui donnera nom de “tabago” provenant du roseau qui entoure les feuilles roulées. On le prise, on le chique et on le fume “en pipe”. Mais d’autres pays considèrent le tabac comme du poison : en Perse on coupe le nez aux priseurs et les lèvres aux fumeurs; en Turquie on perce le nez avec un tuyau puis on promène le damné sur un âne; enfin au Japon on devient alors esclave...

L’époque moderne pointe son nez

     La "Renaissance" est cette période qui s'étend du règne de Louis XII (1498) à l'assassinat d'Henri IV (1610). Avec les fastes des cours princières d'Europe, le renouveau artistique et scientifique sera aussi celui des herbes aromatiques qui complètent les épices mais surtout des consommations de légumes (artichauts, aubergines, asperges, choux-fleurs, concombres, melon, ..); des légumes auparavant ignorés car "poussant dans la terre", trop "peuple" devant s'abaisser à ramasser sa nourriture. L'apport des relations avec l'Italie et Catherine de Médicis sera décisif. Si les fruits sont également appréciés, les pâtes mettront du temps pour devenir un produit habituel contrairement au sucre qui détrône le miel ancestral sur les tables. Le "couvert" est une façon de couvrir son écuelle au Moyen-Age, par crainte d'empoisonnement. La fourchette est l'amie du péché de gourmandise et ne sera généralisée qu'au XVIIIè siècle. Même l'élégant Louis XIV mangeait avec ses doigts...Cependant, malgré son immense fortune, il devait lui aussi au terme de sa vie, s'adonner aux bouillies et mets hâchés. On y perdait alors facilement ses dents avec le grand âge.  Pour la cuillère et le couteau, chacun en avait comme compagnon de voyage. D'ailleurs ce couteau individuel qui se déplie avec sa pointe fine survivra dans nos campagnes jusqu'aux années 1960.

L’agriculture moderne tient dans l’oeuvre retenue dans l’ouvrage de 1600 de l’agronome calviniste Olivier de Serres “Théâtre d’agriculture et mesnage des champs”. Mais ce sera le fin M. de Sully, Maximilien de Béthune, qui fera autorité et déclarera : “labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France”.

Période de prospérité achevée avec l’assassinat du bon roi Henri. Sous les deux cardinaux-ministres qui lui succèdent les impôts doublent et les famines – “des orties, ils font leurs soupes” – , la peste et les guerres font des ravages. En 1675, Madame de Sévigné rapporte que les “bonnets bleus”, coiffure des pêcheurs de Cornouaille et région de Carhaix (Poher), demandent la suppression de tous les droits seigneuriaux comme “attentatoire à la liberté de la province Armorique”. Ils décident d’envoyer six députés aux Etats provinciaux et rédigent un “CODE PAYSAN” : abolition des corvées, des dîmes, de la banalité du moulin et réduction des droits sur le vin reçu de l’étranger. L’argent des “fouages anciens” devra être employé à acheter du tabac, distribué avec le pain bénit aux messes paroissiales. Le droit de chasse sera réglementé (à interdire du 1er mars au 15 septembre); les colombiers seront rasés; pleine liberté sera rétablie pour tous de tirer sur les pigeons; recteurs et curés seront salariés par leurs paroissiens; la justice ne sera plus rendue par le seigneur mais par un juge salarié; les mariages seront permis entre noblesse et paysannerie; les successions seront partagées équitablement... En fait, il faudra attendre encore un peu. 1675, également année de la révolte des “bonnets rouges” et du “papier timbré”.

 

 

Plaque de la rue du Papier Timbré à Rennes (photo de XIIfromTOKYO).

 

Le siècle des Lumières

En 1700 le royaume de France totalise 21 millions d’habitants, soit un Européen sur quatre. On aura ensuite 75 années, dit un presque siècle des “Lumières”avec des révolutions des esprits, de l’agriculture et de la technologie. Le servage royal sera aboli en 1779. Louis XIV, pour des raisons liées autant à l'aspect défensif des côtes qu'à la connaissance de son Royaume, va demander à une Académie des Sciences de réaliser des mesures et des cartes améliorées. L'usage des journées de chevauchées servait alors pour déterminer les distances. A partir des années 1730, quatre générations de la famille CASSINI vont procéder à des triangulations dans un axe Ouest vers Strasbourg puis les frontières et la carte générale référencée 1744. Pour les côtes bretonnes et normandes, l'opération aura lieu en 1736/1737. Des équipes se relayaient tous les 20 km (10 000 toises) pendant six mois. Voir site Géoportail

     Et nos colonies aux "Antilles" : bien que Louis XIII ait interdit par décret leur esclavage - les français étaient venus pour les évangéliser - les Caraïbes (Callinagos) ont du s'exiler sur les îles de la Dominique et de Saint-Vincent suite au traité signé en 1660 avec les colons. Les Petites Antilles avaient précédemment été peuplées par des Amérindiens venus du delta de l'Orénoque (Vénézuéla) : les ARAWAKS, des agriculteurs, chasseurs et potiers . Selon le "Petit Robert", le terme "cannibale" proviendrait des Caraïbes antillais qui pratiquaient certains rites anthropophages avec une pratique rituelle et non coutumière : seuls étaient mangés les guerriers Arawaks valeureux dont ils espéraient acquérir la force. Les Callinagos pratiquaient la culture sur brûlis et l'irrigation. Ces grands chasseurs, guerriers redoutables, étaient aussi à la période de l'arrivée des européens en 1493 des "nomades de la mer" allant de la Guyane à l'est de l'île de Saint-Domingue. Avec leur "Code noir" de 1685 les colons français ont fait des esclaves des "biens meubles", les plaçant ainsi au même niveau que les animaux ou les outils de travail. Les maîtres étaient tout-puissants, jusqu'à punir de torture et de mort les "marrons" (fugitifs" repris). Aboli une première fois par la Convention en 1794, l'esclavage est rétabli par Napoléon en 1802 - à la demande de Joséphine de Beauharnais son épouse créole! Bien qu'interdit en 1815, il faudra attendre la deuxième République de 1848 et Victor Schoelcher pour abolir l'esclavage. Il y avait alors 73 500 esclaves en Martinique sur une population de 125 000 habitants, et 87 000 esclaves en Guadeloupe, pour 130 000 habitants (dont 30 000 "gens de couleur" libres). L'abolition entraîna une baisse de la production sucrière, par manque de main d'oeuvre. Pour y remédier, des travailleurs indiens et chinois, sous-payés,mais aussi des Syriens du Liban, furent amenés dans les îles à la fin du XIXème siècle (25 000 en Martinique et 40 000 en Guadeloupe). L'esclavage a enrichi la bourgeoisie au XVII et XVIIIè siècles permettant à une classe sociale émergente de s'imposer face aux aristocrates. On aura compté 3 317 expéditions partant par ordre de Nantes, Le Havre, La Rochelle, Bordeaux et Saint-Malo, ainsi que 12 autres ports de France. Au XIXème siècle, l'empire colonial recule avec la vente de la Louisiane en 1803 et l'indépendance de Saint-Domingue (Haïti) en 1804, avant de regagner du terrain sous la Restauration et le Second Empire avec la conquête de l'Algérie en 1830. Puis s'ajouteront l'Indochine, la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie, le Sénégal et les Côtes de Guinée et du Gabon...

     La langue créole s'est constituée à partir de la mise en contact de dialectes français (normand et poitevin) et de langues d'Afrique de l'Ouest. La musique, aux Antilles, a emprunté à la valse et à la mazurka européenne, mais aussi à des rythmes africains. Alors que Aimé Césaire aura cherché  à retrouver avec un outil de combat l'héritage africain des Antilles, la "Créolité", outil d'existence,  se définit comme "ni européens, ni africains, ni asiatiques, mais créoles".


"La mémoire des paysans, chronique de la France des campagnes 1653 - 1788" Jean-marc Moriceau

     "Jusqu'en 1700 les fléaux de la nature se conjuguent avec les destructions des guerres et la pression fiscale. En 1683, une terrible famine frappe le pays de Craon (Mayenne) et on broie des racines de fougères pour faire du pain car le prix du blé est trop élevé. Le sarrasin, le blé noir qui ne gèle pas ,semé en mai, a sauvé des populations de la famine. Le dérangement du temps est une hantise. Les rendements du blé varient entre 7 et 8 quintaux par hectares, dix fois moins qu'aujourd'hui. Et on mange cinq fois plus de pain, environ 1 kg par jour et par personne. C'est l'essentiel de l'alimentation. En 1788, des pics de froid à moins 20°C sont enregistrés, ça ruine les récoltes et crée des tensions sociales au début 1789. L'histoire du monde paysan est aussi faite de sécheresses ou des inondations qui impactent les récoltes, des impôts, de la guerre, de la peste, du typhus, de la fièvre aphteuse, des attaques de loups...  A partir de 1750, les marchands ambulants qui vendent des mouchoirs, peignes, miroirs ... apportent aussi les idées des "Lumières". La population a pris conscience de l'accroissement des inégalités. De plus en plus de paysans vont à l'école, savent lire et écrire. Environ 50 à 60% des hommes contre 25% au XVIIè siècle. Ils sont réceptifs à la lecture des journaux." O.F. Guillaume Le Du

     Retour en France, même si l’on passe d’un âge moyen de 20 ans des décès au début du XVIIème siècle à 29 ans à la fin du XVIIIème, la moitié des enfants n’atteignent pas l’âge adulte. Entre 1740 et 1789, sur 1000 enfants nés vivants, le nombre de survivants est de 525. On dit qu’il faut “deux enfants pour faire un adulte”. La mortalité infantile d’enfants de moins d’un an est estimée à 20%.

Toutefois, en raison des familles nombreuses, en 1790 la population sera de 27 millions, dont 22 sont des ruraux. Entre-temps la famine de 1770 donnera l’opportunité à l’Académie de Besançon de proposer des végétaux qui pourraient suppléer en cas de disette. Huit mémoires mentionnent la pomme de terre avec un premier prix pour Antoine-Augustin Parmentier. Ce pharmacien entré dans l’armée à 20 ans avait été capturé par les Prussiens où il avait eu pour ration ce légume. A l’occasion de la Saint-Louis, il fera préparer à la table du roi louis XVI vingt plats différents à base de pommes de terre. Il convaincra les citadins en faisant garder de jour mais pas de nuit la plaine des sablons à Neuilly où sont plantées des pommes de terre. Rien de tel pour stimuler l’envie de pommes de terre, et on y vole les plants de l’ancienne “papa” d’Amérique du Sud.

L’hiver qui précède les premières grandes dates de la Révolution est rigoureux. Il commence le 25 novembre 1788 pour s’achever le 20 janvier 1789. On tue du bétail faute de pouvoir l’abreuver. La liberté d’exporter le grain fait que les greniers sont vides dès 1788 et que les prix augmentent.

Partant du Dauphiné puis de Rennes la révolte gronde... pour finir en Révolution nationale.

Alain Gouaillier le 02/09/2019

Sources principales :

  • Les Paysans de France” d’Arthur CONTE, "Télérama" 2003

 

 

texte/photo  pour le groupe "Trivouez d'garçailles"